Loom, la startup qui ne voulait pas (trop) grandir : « la croissance n’est pas un objectif en soi »

Loom

« Moins mais mieux », tel est le crédo de cette marque de vêtements : Loom, cofondée en 2016 par Julia Faure et Guillaume Declair. La startup affiche un CA d’1 million d’euros, sans pour autant s’être fixé d’objectifs de croissance. Interview.

La création de Loom est-elle le fruit d’un engagement militant antérieur, ou votre positionnement a évolué en même temps que vous avez découvert plus en profondeur l’industrie de la mode ? 

Julia Faure : A l’origine, nous avons créé Loom car nous pensions qu’il manquait sur le marché des fringues de bonne qualité. Nous en avions marre que nos vêtements boulochent ou se déchirent après seulement quelques utilisations. De mon côté, j’étais ingénieure agronome, passée par Amazon et La Ruche qui dit oui.  Guillaume lui était diplômé de l’ESSEC, auteur du livre La 25ème heure (sur la productivité) et avait déjà cofondé Merci Alfred. Mais c’est vraiment en montant Loom que nous nous sommes rendu compte de tous les problèmes éthiques et écologiques engendrés par l’industrie de la mode. C’est comme cela que nous sommes passés d’une simple bonne idée à une marque militante.

Mini Guide Entrepreneuriat
Loom travaille en partenariat avec des usines françaises pour développer les vêtements les plus résistants du marché

Quels sont selon vous les trois combats principaux à mener dans l’industrie textile ?

Julia Faure : Pour nous, le problème principal de la fast fashion, c’est la surproduction. Tout le reste, c’est de la diversion. C’est simple : si nous voulons respecter les accords de Paris, il faut carrément réduire par trois le volume de production textile. Le coût des vêtements a été drastiquement diminué pour que nous achetions toujours plus. La question du sourcing des matières intervient selon moi en second plan. Il est urgent d’arrêter la culture du coton conventionnel pour passer au coton bio. La question du non traitement des eaux usées est aussi primordiale. Enfin, le dernier volet est social : quelles sont les conditions de travail des gens qui fabriquent nos vêtements ? En délocalisant, les entreprises de la fast fashion produisent dans des pays où les droits des travailleurs ne sont pas respectés.

Quand vous parlez de diversion, que pensez-vous de la question des emballages qui prend beaucoup de place actuellement dans le débat ?

Julia Faure : Je pense aussi que c’est une énorme diversion. En réalité, l’emballage ne représente que 0,1% de l’impact du produit, et c’est là que les marques font un effort. Mais c’est de la poudre aux yeux. Nous avons mené une étude poussée sur ce thème, et nous en avons conclu que l’emballage Kraft était la meilleure option. Quant aux colis consignés, avec le circuit de retour et le lavage avant la remise sur le marché, le bilan carbone n’est pas bon.

Loom propose un vestiaire intemporel

En tant que marque de vêtements, vous consommez forcément des ressources. Comment envisagez-vous cela ?

Julia Faure : Pour moi, le problème n’est pas la production de manière intrinsèque, mais le fait que l’industrie textile ne fasse que du jetable. En réalité, 90% des usines aujourd’hui ne savent pas comment faire des vêtements qui durent. C’est pour cela que nous allouons une grande partie de notre budget à la R&D en partenariat avec des usines françaises. Nous produisons nos pièces en France ou au Portugal. Nous avons par exemple développé la ceinture la plus résistante du marché. Quant à notre chino, il s’agit à ce jour de la meilleure toile française.

Vous proposez une gamme très courte. Est-ce aussi une volonté de rester sur votre positionnement « moins c’est mieux » ? 

Julia Faure : Notre objectif est de proposer des intemporels dont vous ne vous lasserez jamais. Aussi, notre gamme est très courte parce que cela nous prend beaucoup de temps de développer des vêtements étant donné que nous faisons beaucoup de R&D. Du coup, nous ne sortons que 5 vêtements par an maximum. Nous ne pouvons donc pas suivre les tendances de la fast fashion.

Pourquoi avoir décidé de vous lancer sur le marché de l’homme en priorité, et à quand une gamme pour les femmes ? 

Julia Faure : A la base, on s’est mis sur le marché de l’homme car mon associé et moi-même voulions créer les fringues que nous avions envie de porter. En l’occurrence, je me suis toujours habillée chez les hommes. Nous allons lancer la femme dans quelques mois normalement.

Vous ne faites pas de la croissance un sacerdoce. Quel est donc le rapport que vous entretenez avec cette métrique ?

Julia Faure : Pour nous, la croissance n’est pas une ambition, ni un objectif en soi. D’ailleurs, je trouve cela parfaitement absurde qu’elle le soit. Notre volonté, c’est simplement de produire des vêtements de qualité, sans sacrifier notre vie privée, et surtout d’œuvrer au changement de l’industrie textile. La croissance n’est à ce titre qu’une conséquence. La taille maximale n’est pas nécessairement optimale. Ce n’est qu’en sortant de cette quête de maximisation du profit que l’on pourra sortir de l’hyperconsommation et cesser les dommages collatéraux sur l’environnement et les travailleurs.  

Une collection femme sera bientôt lancée

Puisque vous ne souhaitez pas encourager la consommation, vous avez aussi décidé de dire stop aux « dark patterns ». Cela ne vous empêche pas d’écouler de plus en plus de pièces chaque année…

Julia Faure : Aujourd’hui, nous en sommes effectivement à un CA de 1 million d’euros, et notre croissance double chaque année. Par contre, nous n’avons pas mis de cookies sur notre site. Nous ne voulons pas prendre les données de nos clients. Du coup, nous ne connaissons pas le profil type de nos acheteurs et ne faisons pas de pubs targetées sur les réseaux sociaux. Chez nous, cela fonctionne au bouche à oreilles. Nous faisons des articles de blog, publions nos collections sur les réseaux sociaux, mais n’envoyons nos informations qu’aux personnes qui sont intéressées par la sortie de nos produits.

Vous arrivez à proposer des pièces de qualité à des prix certes plus élevés que la fast fashion, mais dans des fourchettes très raisonnables (50 euros le polo et 80 euros le pantalon). Comment travaillez-vous vos marges ?

Julia Faure : Nous avons les marges les plus basses du marché, soit 2,4%. Mais cela fonctionne justement car nous ne travaillons pas par collections (nous n’avons de ce fait pas d’invendus), ne faisons pas de pub et pas de soldes (si nous faisions des soldes, nous serions obligés de vendre plus cher). Cela nous permet de vivre en ayant des marges très faibles.

Pour vous financer, vous n’avez pas souhaité faire une levée de fonds classique ?

Julia Faure : Non, nous avons levé 700K en crowdequity, c’est-à-dire que nous avons proposé à notre communauté d’être actionnaire. Pour l’heure, la trajectoire est très bonne et nous n’envisageons pas de réacquérir du capital.

Acheter moins, cela passe par une rééducation du consommateur ?

Julia Faure : Cela passe surtout par des réglementations ambitieuses qui empêchent de produire mal ! En réalité, notre envie de consommer n’est pas inscrite dans nos gènes. C’est surtout que toute une industrie se voue à cela pour attiser notre désir. Une industrie qui pèse des milliards de dollars, beaucoup plus que le PIB de notre pays. Malheureusement, pour l’instant, il n’y a aucune volonté politique !

Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola

 

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