Plus de 893 000 personnes affiliées au régime de l’auto-entreprise en France, un succès qui témoigne d’une volonté grandissante de quitter le statut de salarié, dans l’espoir de s’accomplir davantage. Mais tout le monde peut-il devenir indépendant ? Pas sûr.
Une liberté de penser
« Me mettre à mon compte était un projet de longue date, mais je n’avais jamais osé », confie Sophie, 37 ans, qui a créé son EURL il y a deux ans. Célibataire et sans enfants, elle parcourt la France et le monde pour des missions de recouvrement de marge financière, dans le cadre de projets industriels. Une remise en question qui est intervenue pendant une période de chômage, après 10 années passées en tant que salariée à divers postes, jusqu’à celui de directrice d’agence. « Je ne voulais plus être l’objet d’un travail, d’un patron et d’un système dans lequel je n’avais aucune liberté d’action. Le responsable d’une équipe, d’un service, n’est que celui qui applique les décisions hiérarchiques. J’avais soif de liberté de penser et de faire », raconte-t-elle.
Même son de cloche du côté de Juliette, 30 ans, qui a récemment monté son agence d’architecture avec son mari, sous le statut de SARL : les Ateliers Prevost, sur l’Ile de la Réunion. « J’exerce un métier de création et j’avais envie de pouvoir faire passer mes idées. Pour moi, c’est aussi un moyen d’évoluer plus rapidement, car tout dépend de notre motivation », explique la jeune femme.
Une bonne dose de courage
Cette quête de liberté de penser est désirable en soi, mais nécessite beaucoup de courage. Une qualité qui est à la base de la fibre entrepreneuriale, estime Christian Pierdet, auteur de Petit Indépendant deviendra grand (éd. Afnor). Ce coach en relations humaines rappelle l’angoisse inhérente au risque de ne rien gagner à la fin du mois, mais aussi la peur d’être seul en cas de coup dur : « on ne peut pas flancher car on n’a pas de remplaçant ». D’où la nécessité de parvenir à une certaine maturité et un sens aigu des responsabilités. Pour Sophie, il s’agit d’un « instinct de survie » qui lui permet de supporter « la peur au ventre d’avancer sans filet ».
Le spécialiste distingue ici une qualité supplémentaire, requise pour les entrepreneurs qui auront des salariés à leur charge : la capacité à garder son sang froid et à ne pas se faire dépasser par ses émotions, puisque le patron est responsable non seulement de lui-même, mais aussi de ses employés.
La capacité à supporter l’échec
Autre qualité essentielle : la capacité à supporter l’échec, fondamentale dans cette prise constante de risques. « Il faut accepter que les commandes ne tombent pas malgré le travail engagé », martèle le coach.
Cette faculté est d’autant plus importante les premières années, durant lesquelles il faut faire ses preuves pour dégoter des contrats. Se posera en même temps la sempiternelle question : faut-il accepter un boulot alimentaire pour survivre les premiers temps ? Pour Christian Pierdet, tant que cela est possible et si notre caractère nous le permet, il convient de rester proche au maximum de l’épicentre de son domaine d’activité, sous peine de se décrédibiliser auprès de clients potentiels.
Une liberté d’organisation
Travailler en indépendant présente un second gros avantage : la possibilité d’organiser son temps comme on le désire, surtout lorsque l’on est parent. « Travailler à mon compte est selon moi la seule possibilité pour une femme aujourd’hui d’avoir un job de cadre supérieur, avec des enfants en bas âge qu’elle peut voir grandir », lance Audrey, 34 ans, auto-entrepreneure, mère de deux enfants et fondatrice de l’agence de communication émotionnelle Makingcomm à Lyon. « Si je décide de prendre une journée pour m’aérer ou m’occuper de mes enfants, je sais que je travaillerai tard le soir », poursuit la jeune femme.
Enceinte de son deuxième enfant, Juliette apprécie cette absence de contraintes : « le fait d’avoir deux enfants si rapprochés n’aurait pas été aussi simple, j’aurais pu me sentir gênée si j’avais été salariée », confie-t-elle. Mais que l’on ne s’y trompe pas, cette autonomie exige la plus grande rigueur et une discipline de fer pour ne pas se laisser déborder par le quotidien. « Le gros plus, c’est que lorsque l’on est ‘charrette’, on ne perd pas de temps à se préparer et à prendre les transports. Mais il faut tenter autant que possible de tenir un rythme, de se maquiller, d’avoir une vie sociale », soutient l’architecte.
Savoir lever le pied
Quand on se met à son compte, on sait en général pertinemment qu’il faudra cravacher pour parvenir à gagner sa vie. Nos trois intervenantes l’attestent : elles ne comptent pas leurs heures de travail. Pour autant, elles expliquent avant tout travailler autrement. Audrey confie n’avoir pas toujours la sensation de besogner, tant les tâches sont différentes : « on a surtout l’impression de s’épanouir, se révéler et d’exploiter pleinement toutes nos capacités ». Sophie, elle, va plus loin en déclarant ne pas faire de différence entre temps pro et perso : « cela fait partie de ma vie et je m’y investis pleinement ».
« Pour peu que l’on choisisse un métier que l’on aime, on n’a jamais l’impression de travailler », affirme Christian Pierdet. Il insiste alors sur l’importance des proches qui doivent nous inciter à lever le pied quand il le faut. Le spécialiste ajoute qu’il faut chouchouter notre vie familiale mais aussi personnelle en nous accordant au moins une fois par semaine un « rendez-vous avec nous-même ». « Pour moi, c’est le qi gong », témoigne-t-il. « Pour parvenir à un bon équilibre, il faut se fixer soi-même des limites qu’on trouvera avec le temps, et aussi en définissant notre périmètre d’activité », poursuit le coach.
Christian Pierdet invite notamment les indépendants à utiliser un calendrier avec des jeux de couleurs, nous obligeant à planifier des travaux non professionnels qui, sauf cas exceptionnel, devront être respectés. Selon lui, si l’on a choisi de travailler depuis chez soi, il faut à tout prix avoir un espace personnel bien cloisonné : on évite de travailler sur la table du salon !
Un métier dans le métier
L’un des principaux écueils du statut tient au fait que « beaucoup d’auto-entrepreneurs se cassent la figure parce qu’ils se sclérosent dans leurs compétences techniques et ne développent pas leurs autres facultés », soutient Christian Pierdet. Le coach rappelle les trois piliers du travail en indépendant : le commerce, la production et l’administration. Il ne s’agit pas que d’exécuter ses missions, mais avant tout de les trouver, et de gérer l’argent qui rentre et qui sort. « Je conseille autant que possible de sous-traiter certaines tâches dans lesquelles on est mauvais, et notamment de faire appel aux sociétés de portage », affirme le spécialiste.
Bref, ce n’est pas parce que l’on excellait dans un job en tant que salarié que l’on sera bon en indépendant si l’on ne développe pas ses autres compétences, ou que l’on ne se fait pas aider. C’est notamment l’avis de Juliette, qui estime que l’on peut « avoir beaucoup de talent mais couler à cause d’une organisation défectueuse ».
Etre à l’écoute de son client
« Depuis que j’ai ouvert ma société, je rencontre beaucoup plus de monde et l’aspect social est très intéressant », s’enthousiasme Juliette, qui prend aussi toute la mesure de cette responsabilité puisque c’est elle qui doit aller chercher ses clients. Pour Sophie, « établir la confiance chez (son) client est primordial, et cela passe par une présence professionnelle et une intervention sérieuse dans ses bureaux ». Cela lui permet notamment d’être à l’écoute, et de faire « une différence entre son besoin officiel et ses demandes intrinsèques quotidiennes ».
Cette écoute et cette adaptabilité sont les deux autres qualités essentielles pour avoir la fibre entrepreneuriale. « Cela ne signifie pas qu’il ne faut jamais dire non, mais il ne faut pas oublier qu’un indépendant a l’obligation de faire ce qu’on lui réclame. Le client est finalement notre patron et il va détecter qu’on a la capacité de faire certaines choses. Il faut donc accepter l’imprévu », soutient Christian Pierdet. « La pression est parfois très importante pour satisfaire le client », renchérit Audrey.
Etre entrepreneur, ce n’est donc certainement pas rester dans son coin en attendant que les commandes tombent. Pour Audrey, il est primordial « de se bouger pour ne pas rester seule ». Elle se rend donc dans des espaces de coworking, va à des conférences… pour développer son réseau. « L’indépendant doit savoir se mettre intelligemment en réseau en partageant les bonnes pratiques. Il ne s’agit pas de foncer sur les gens avec sa carte de visite, mais de tisser des liens réels et sincères de confiance réciproque, qui nous mèneront par effet de ricoché au business », soutient le coach.
Savoir renoncer
Tout le monde n’est pas fait pour devenir entrepreneur, et quand les choses ne fonctionnent pas, il faut aussi savoir renoncer. « Si on n’est pas équipé pour, et si on ne travaille pas à faire grandir les trois grandes compétences de l’indépendant (pour mémoire : commerce, production, administration), on doit se rendre compte qu’on n’est pas fait pour ça. Redevenons le meilleur chef de service ! Il est vain de s’agripper à son fantasme », déclare Christian Pierdet. Le statut d’indépendant est un doux rêve, dont le chemin est parsemé d’embûches. Si la liberté et la responsabilité semblent être des idéaux, cette autonomie ne convient pas à tout le monde. L’important est de se connaître et d’adapter notre trajectoire, après avoir bien entendu tenté l’expérience si elle nous titille. Car, selon Christian Pierdet, « on ne peut savoir si on a la fibre entrepreneuriale qu’en tentant l’aventure ».
@Paojdo
Merci à Juliette, Audrey et Sophie, et à Christian Pierdet. Retrouvez plus de conseils sur son site.
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