Rencontre avec Sandy Beky, chercheuse en leadership et développement humain

sandy beky

Experte en leadership, femme engagée pour un changement managérial et sociétal, Sandy Beky nous livre ses reflexions, ses doutes, ses espoirs.

Comment vous définiriez-vous ? 

Sandy Beky : Je me définis davantage comme une chercheuse, que comme une consultante ou coach. 

Guide Dev Persot

Je suis une passionnée de leadership, d’économie circulaire et de développement humain. C’est en explorant ces sujets à différents moments de ma vie professionnelle que depuis quelques années j’ai à cœur de conjuguer ces trois domaines et accompagner les organisations à adapter leurs réponses aux enjeux sociétaux du 21ème siècle. Dès 2013, j’ai travaillé sur ce que pouvait apporter l’économie circulaire dans l’évolution de nos modèles de pensée et de management de l’humain.

J’ai matérialisé ces travaux par un modèle que j’ai appelé le Model C®, C comme Circulaire et Conscience. Les entreprises, et les établissements d’enseignement supérieur à travers la formation des décideurs de demain sont devenus mon terrain d’expérimentation de nouvelles pratiques du leadership, de nouvelles manières de penser et manifester ce leadership. La crise sanitaire qui nous touche universellement est un appel à faire un véritable  « reset » ; la vraie catastrophe serait qu’on n’entende pas cet appel et que l’on ne saisisse pas l’opportunité  que l’Histoire nous offre de nous dépasser et de nous transformer en tant qu’êtres humains.

Les questions de Leadership sont au coeur de votre travail depuis des années et vous oeuvrez notamment pour un nouveau leadership, quel est-il ? 

Sandy Beky : Le leadership est plus que jamais un levier d’action majeur pour relever les défis auxquels nous faisons face. Mais pour ça il doit se trans-former c’est-à-dire prendre une autre forme. Je milite en effet pour une autre qualité de leadership : un leadership engagé dans un mouvement continu voire circulaire entre la pensée et l’action.

Le premier réflexe face aux problématiques sociétales de ce siècle est d’appeler les gens à agir différemment, à adopter d’autres comportements. C’est beaucoup plus facile à dire et écrire qu’à faire. Pourquoi ? Parce qu’en amont de nos actions, il y a un vaste champ d’activité mentale. Dans mon travail de construction et diffusion de ce leadership engagé, je me positionne au niveau de ce qui déclenche l’action : la pensée et le cadre mental dans lequel s’inscrit cette pensée.

J’invite les dirigeant.e.s, leurs managers, les équipes et individus avec lesquels je travaille à regarder leurs pensées, le chemin qu’elles empruntent dans leur tête, à se poser la question de pourquoi ce chemin et pourquoi pas un autre,  à décoder ce que ces pensées leur disent ne leur disent pas sur eux-mêmes, sur les autres, sur le monde.

C’est en posant un autre regard sur ce cadre de pensée, et c’est en montrant qu’il possible d’ouvrir et tracer d’autres chemins, que se crée l’espace qui permet l’émergence de ce leadership engagé. J’utilise le mot engagé pour bien marquer que c’est un engagement qui prend forme dans nos stratégies mentales et s’incarne jusqu’à l’impact qu’il va créer à l’intérieur de soi mais aussi pour le monde et dans le monde.

C’est un processus qui fait écho au phénomène de boucle positive propre à l’économie circulaire : une autre façon de penser le monde ré-oriente l’action, en interrogeant la pertinence et l’adéquation de cette action on revient vers la pensée pour si besoin lui faire prendre un autre chemin et l’amener alors à une action augmentée. C’est une approche qui amène à constamment élargir le champ de conscience sur lequel s’appuie notre attention pour analyser l’information, prendre des décisions, évaluer des risques, identifier des conséquences et agir de manière véritablement engagée.

Face à cette crise de civilisation que nous vivons: sanitaire, écologique, économiques, quelles devraient être les priorités des dirigeants vis à vis de la société et de leurs salariés ? 

Sandy Beky : La crise que nous vivons aujourd’hui et les multiples turbulences dans lesquelles elle plonge le monde académique, économique, politique, scientifique ainsi que toutes les sphères de nos vies (personnelle, professionnelle, sociale) trouve racine dans une crise profonde des valeurs humaines.

Il est important de mon point de vue se reconnecter à trois valeurs fondamentales : l’unité, l’interdépendance et la solidarité. Le monde des entreprises à travers les dirigeant.e.s et les salarié.e.s peut se poser en tant qu’architecte de cette reconnexion.

Nous avons oublié que la survie de l’espèce humaine n’est possible que dans le lien qui nous unit à la Nature puisque nous sommes un des éléments de la Nature.

Il est devenu indispensable de développer une conscience de l’interdépendance qui existe entre notre santé, celle de nos entreprises, de nos emplois et la santé de la Nature. Si cette crise provoque un effet de repli sur les budgets de formation et d’accompagnement, c’est tout le contraire qui devrait se produire.

Ce devrait être une priorité :

  • de former massivement les salarié.e.s sur des sujets tels que par exemple le changement climatique et les effets des différents scénarios sur le futur de leur métier, des produits, des services de leur entreprise, au rôle crucial que jouent les métaux rares dans la composition des produits achetés, vendus par leur entreprise et dans la  géopolitique des mouvements de ces produits, et bien d‘autres sujets encore  que tout salarié, dirigeant ou collaborateur ne peut plus ignorer pour innover dans la façon de travailler, de se déplacer pour aller travailler, de concevoir un produit, d’élaborer un service, de décider d’un achat, de sélectionner un fournisseur, etc…
  • d’accompagner tous les Managers dans un parcours de développement de leur conscience sociétale pour que celle-ci imprègne l’ensemble de l’organisation et inscrive durablement l’entreprise comme l’initiatrice d’un nouveau modèle social et économique.

Les entreprises aujourd’hui investissent des sommes parfois colossales dans des programmes de transformation sans avoir la moindre idée sur le niveau de conscience que les Managers portent à cette transformation, ce qu’elle signifie, ce qu’elles/ils vont en faire et comment. C’est une dimension qui s’évalue, se mesure et qui permet d’éclairer différemment la configuration des équipes, des projets, des programmes.

Cette crise bénéficie à certains grands groupes mais est en train de “tuer” les petits, que doit-on faire ? 

Sandy Beky : La solidarité en cette période est un pari gagnant sur l’avenir. Aujourd’hui tous les secteurs de l’économie ne sont pas égaux face à cette crise aux multiples visages parce qu’il y a des entreprises qui de par leur cœur de métier connaissent une rentabilité encore meilleure en ces temps de confinement et de reconfinement. C’est le moment pour ces entreprises de donner un nouveau sens à leur responsabilité sociétale et venir en aide aux secteurs les plus fragilisés et dont certains acteurs pourraient ne jamais se relever.

Les entreprises à la prospérité florissante pourraient sur leurs territoires d’implantation apporter une aide en terme d’emplois sous toutes ses formes, de mécénat financier, de garant auprès de bailleurs et d’investisseurs, ou tout autre action de soutien qui permette à différents acteurs économiques, mis en très grande difficulté de sauver leur activité et maintenir un revenu.

Laisser faire que cette crise creuse encore davantage les inégalités de richesse va avoir une conséquence très grave : la dégradation de l’environnement, de la santé des individus, de la performance des entreprises, de la légitimité des institutions, de la notion même de société et de vivre ensemble.

La pandémie est au coeur de tous les discours mais quid de l’après ? N’est pas une opportunité unique de changer de civilisation…?

Sandy Beky : On a vu et on continue de voir que l’arrivée fracassante de ce virus dans nos vies a permis des choses que l’on pensait trop compliquées, impossibles tel que le télétravail généralisé par exemple. Cette pandémie mobilise un temps de parole inouï, des kilomètres d’écrits, des moyens hors normes, des appels à la responsabilité individuelle et collective comme on n’en avait vu et entendu depuis longtemps.

La crise sanitaire est la démonstration que des milliers de gens sont capables d’entrer dans d’autres modes de fonctionnement beaucoup plus facilement qu’on ne l’aurait imaginé. Il est impératif d’aller au-delà de la cristallisation sur ce seul phénomène et utiliser les ressorts de cette énergie sur la résolution d’autres problématiques sociétales tout autant, voire plus, dévastatrices.

Il est vital de prendre conscience que nous sommes en train de vivre n’est pas une parenthèse avec un début et une fin ; ce virus ne va pas disparaître tout aussi subitement qu’il est arrivé. C’est un nouvel état du monde qui s’est installé, et qui nous appelle à complètement repenser et adapter notre mode de vie dans toutes ses formes.

Manquer cette opportunité serait alors le triste constat que COVID-19 ou pas, notre mental est à l’état de confinement depuis bien longtemps avant Mars 2020.

Vous travaillez beaucoup sur les questions de résistance au changement, comment l’accompagner en tant que manager et créer de l’adhésion positive ? 

Sandy Beky : Que je travaille avec des équipes de vente pour leur permettre d’atteindre de meilleures performances quantitatives  ou des équipes de managers pour les aider à développer de nouvelles compétences managériales, une des étapes clé est la prise de conscience de la façon dont se matérialise le changement pour chacun.e au niveau mental, émotionnel et comportemental.

Formée par Lisa Lahey et Robert Kegan, tous deux psychologues du développement à la Harvard Graduate School of Education,  j’utilise d’ailleurs le terme « d’immunité au changement ».  C’est une approche très efficace pour identifier les anticorps mentaux, émotionnels, structurels, opérationnels qu’un individu ou une organisation a développé pour ne pas enclencher ou ne pas réussir le changement attendu. Il s’agit en premier lieu d’explorer de quoi protègent ces anticorps.

Nous dire pourquoi un changement est nécessaire (pour préserver la planète, pour assurer la pérennité de l’entreprise, pour guérir, pour innover, pour perdre du poids, etc.) est certes utile, mais pas suffisant pour l’activer. Entre un comportement présent qui ne produit pas le résultat souhaité et un comportement désirable et plus favorable il y a en fait un conflit d’engagement.

Il faut entrer dans cette zone de conflit et nommer les hypothèses, les inquiétudes, les croyances qui motivent nos choix décisionnels et comportementaux actuels. Aller dans le sens du changement demande ensuite de montrer que d’autres choix peuvent tout autant répondre à ces motivations.

C’est important de prendre conscience que ce n’est pas juste une résistance stérile, de la mauvaise foi, ou un manque de compétences mais une véritable enveloppe de protection. Cette méthode, bien que n’étant pas une boîte à outils, a le mérite d’être concrète car elle s’articule sur des situations test qui sont réajustées au fur et à mesure jusqu’à ce qu’il y ait adhérence entre la représentation mentale et la manifestation comportementale du changement.

Quand par économie de temps, d’argent, d’énergie on s’affranchit de la première phase de la démarche, on ne crée pas l’espace d’acceptation du changement et on peut renforcer l’immunité au changement !

Vous êtes une femme engagée pour la cause des femmes depuis de nombreuses années et avez lancé l’application He Hop pour lutter contre les violences faites aux femmes, décrivez-nous comme elle fonctionne ? 

Sandy Beky : Pendant plusieurs années, j’ai en effet été de par mes fonctions en entreprise et mon rôle de Présidente du réseau PWN Paris investie sur les questions de mixité et diversité et plus particulièrement sur les actions de développement de carrière, de mentoring pour les femmes ainsi que la promotion d’un leadership plus inclusif.

Il y a un an et demi j’ai décidé de donner une autre dimension à cet engagement en créant l’association HeHop Help for Hope dont la mission est de donner aux victimes de violences en huis clos les moyens d’apporter les preuves des violences subies. En juin 2020 nous avons lancé HeHop, une application qui fonctionne en 3 étapes : la prise de media (photos, audio, video), l’enregistrement automatique de ces media sur la blockchain, le stockage de ces media sur un serveur crypté.

Les fichiers sont sécurisés et deviennent des preuves indestructibles et infalsifiables. C’est déjà un réflexe pour beaucoup de victimes et/ou de témoins d’utiliser leur smartphone pour capturer des scènes de violence. Mais lorsque les fichiers sont dans la galerie d’un smartphone ou ont été téléchargés sur un ordinateur, ou encore envoyés à des ami.e.s, de la famille ils ne sont pas du tout protégés  en cas de vol, de destruction, de piratage de l’appareil ou de tout incident qui peut arriver aux personnes à qui ont été confiés ces les éléments capturés.

Préserver ces éléments, garantir leur intégrité est essentiel pour augmenter le nombre de procédures judiciaires instruites et les condamnations. Seules 13%* des victimes de violences conjugales portent plainte parce qu’elles ont peur, elles ont honte et qu’elles sont souvent incapables d’apporter les preuves des violences qu’elles subissent.

Dans le cas des violences conjugales 30% des plaintes ne sont pas transmises au parquet et 80% des plaintes transmises sont classées sans suite souvent faute de preuves**. Un boulevard d’impunité pour les agresseurs.  Avec HeHop nous espérons faire que la peur et la honte changent de camp. L’application est téléchargeable gratuitement sur Apple Store et Google Store.

Vos conseils aux femmes ?

Sandy Beky : Nous sommes des milliers de femmes dans le monde à avoir la chance de pouvoir faire des études, de travailler, d’être autonome financièrement, de voter et de faire tout un certain nombre de choix dont sont privés pleins d’autres femmes. Ce privilège de faire ces choix est un pouvoir que l’on peut et que l’on doit utiliser pour transformer la société.

Cela demande bien sûr d’amplifier son leadership, son courage, sa voix, ses actions pour tracer d’autres chemins et ne plus laisser le choix à d’autres que celui d’abandonner les chemins d’inégalités, de non inclusion, de non droit, d’irresponsabilité, d’immoralité, du consensualisme à l’excès qui baillone la vérité et bride les engagements. La bonne nouvelle est que c’est possible puisque le véhicule de changement commence par un travail sur soi.

Inspirons-nous des paroles de l’anthropologue américaine Margaret Mead qui écrivait “ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens lucides et engagés peuvent changer le monde. c’est toujours ainsi que les choses se passent.***”

Soyons ces citoyennes engagées. Cette époque, les mutations qui la traversent, les repères qui s’effondrent, les différents systèmes qui montrent leurs limites sont autant d’opportunité pour opérer cette transformation intérieure et tracer la voie vers une humanité plus consciente.

Sandy Beky

Sandy Beky est membre depuis 2015 de la communauté des praticien.ne.s certifié.es de Global Leadership Associates (GLA) qui s’appuie sur plus de 40 ans de recherches en psychologie développementale pour accompagner le développement humain, faire évoluer les stratégies mentalmes et niveaux de conscience afin de donner à nos actions un autre impact sociétal.

Sandy est également titulaire d’un Executive MBA (HEC Paris), d’un Postgraduate Certificate en Economie Circulaire (Bradford University and School of Management) et d’une certification AFNOR d’évaluateur ISO26000, la norme relative à la Responsabilité Sociétale des Entreprises et Organisations.

 

*Rapport de l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) – Décembre 2019

**Rapport de l’Inspection Générale de la Justice (IGJ) – Novembre 2019

***Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world; indeed, it’s the only thing that ever has.

0
    0
    Votre panier
    Votre panier est vide