Mercedes Erra : l’ambitieuse militante

mercedes erra

Bosseuse ambitieuse, Mercedes Erra, fondatrice de BETC, première agence de publicité et Présidente Exécutive d’Havas Worldwide, est une leader engagée, notamment auprès de la Fondation ELLE ou encore du Women’s Forum for the Economy and Society dont elle est l’un des membres fondateurs. Discussion avec une féministe au sommet.

Oui, les femmes doivent se donner les moyens d’aller plus haut. Oui, elles doivent prendre conscience des barrières qui les empêchent d’avancer, c’est en substance ce que Mercedes Erra veut leur dire. Rencontre avec une leader qui n’a pas la langue de bois!

Lors de l’un de vos premiers entretiens d’embauche, votre futur patron vous a dit être étonné de votre candidature au motif qu’il n’y avait pas de filles dans l’agence où vous postuliez. Quelle a été votre réaction ?

Mercedes Erra : C’était il y a trente ans, il s’agissait de mon premier patron. Il a tenu à m’expliquer que le métier était un peu rude. Cela renvoie à une vision tendre de la femme ! Puis, il m’a précisé qu’il n’y avait pas de filles dans son entreprise, ce qui à l’époque, correspondait à une réalité. Il n’y avait pas misogynie dans ses propos.

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Aujourd’hui, la situation a changé ! Il y a beaucoup de femmes dans la publicité ! Il faut dire que l’on a envahi tous les métiers les moins bien payés de France. Je ne parle pas là des rémunérations des équipes dirigeantes : dès que vous grimpez un peu, comme par hasard, ce sont surtout les garçons qui sont aux commandes.

Au cours de votre carrière, vous est-il arrivé de vous dire, « j’aurais dû mieux négocier, telle promotion » ou de vous rendre compte que vous n’étiez pas au même niveau de rémunération que certains de vos homologues masculins ?

Mercedes Erra : Ah oui bien sûr ! Après avoir fondé BETC, je me suis rendue compte au bout d’un certain temps ne pas être payée exactement la même chose que mes deux associés. C’était scandaleux ! Ce n’était pas une question de salaire mais de stock options. Ils se les étaient distribuées entre eux et trouvaient cela normal ! Je leur ai dit être très choquée !

Je suis ensuite allée voir notre patron, Alain de Pouzilhac. Je lui ai demandé d’arranger la situation. Il m’a donné le même volume de stock options mais le dommage causé était irrattrapable: les années suivantes ont été moins fastes et mes options ne m’ont pas rapporté autant d’argent qu’à mes associés. Cela m’a servi de leçon !

Dans votre environnement professionnel, constatez-vous que les femmes sont plus passionnées par ce qu’elles font ? Comme si, quelque part, elles ne considéraient pas le travail comme un dû, mais comme un choix, une chose pour laquelle elles se sont battues ?

Mercedes Erra : Par nature, je les sens moins politiques et plus dans l’ordre de l’intérêt des choses. Nos mères, nos grand-mères, nos arrières grand-mères n’étaient pas payées : finalement, nous sommes habituées à ne pas travailler pour l’argent. Donc oui, je constate chez les filles une voracité financière moindre mais un plus grand intérêt pour le métier exercé.

Ne pas être politique, ce n’est pas forcément très stratégique lorsque l’on souhaite évoluer professionnellement!

 Mercedes Erra : Bien entendu ! De toute façon, c’est très dur pour les filles d’avoir une ambition qui les mène en haut. On est quand même loin d’être à égalité. Regardez le CAC 40 : aucune fille. Les garçons se distribuent les postes en racontant qu’ils sont horrifiés face aux quotas. Et ce alors qu’eux, ils ont des quotas 100% masculins parfois !

Deuxièmement, il n’y a pas d’égalité homme-femme au sein de la cellule familiale. En cela, les filles sont assez complices car elles font tout : elles ont hérité de cette culture donc ce n’est pas si facile de s’en défaire.

Troisièmement, je pense qu’il y a aujourd’hui une sacralisation de l’enfant et une exagération du rôle de la mère. C’est tout juste si pendant les quatre mois de congé maternité, on ne leur demande pas d’allaiter sans arrêt et de regarder leur enfant dans les yeux !

Puis ensuite, si vous regardez ce qui se passe dans le monde, ce que subissent les femmes est terrible. En ce sens, s’il n’y a pas des régions du globe où l’on fait progresser l’égalité sérieusement, comment voulez-vous que d’autres pays se raccrochent à des modèles?

Concernant les modèles justement, avez-vous le sentiment que les jeunes femmes de la génération Y développent une ambition plus facilement grâce aux actions de leurs aînées ?

 Mercedes Erra : Pas tellement. Je pense qu’il y a un contre-effet. Il n’y a pas si longtemps que cela, le fait d’être traitées différemment apparaissait aux femmes de manière criante. Aujourd’hui, il y a une sorte d’hypocrisie. Tout le monde dit : « bah non il y a pas d’enjeu, tout est possible » alors qu’en fait, les stéréotypes et leurs conséquences sont bel et bien là et très durs à faire évoluer.

Pensez-vous, comme Sheryl Sandberg, numéro 2 de Facebook, que les femmes ont leur part de responsabilité dans le fait de ne pas gravir plus facilement les échelons: elles ne s’en donnent pas suffisamment les moyens en se créant des barrières inconscientes ?

Mercedes Erra : Oui bien sûr. Après, je n’aime pas dire que c’est de leur faute. Cela reviendrait à lancer à un pauvre esclave : « comment, tu ne te libères pas imbécile ? » Il a tellement été tapé pendant des années, c’est compliqué !

Les chiffres mondiaux sont alarmants : 69% du travail de la planète est effectué par des femmes et elles ne reçoivent que 10% de la rémunération mondiale. Donc cela veut dire qu’elles travaillent sans être payées. Sans oublier qu’elles n’ont que 1% de la propriété…

Dans le monde de l’entreprise, l’ambition est-elle encore perçue comme un attribut de la virilité ?

Mercedes Erra : Oui. C’est difficile pour les filles d’oser l’ambition. Elles ne savent même pas si elles vont trouver un mari après. Ils deviennent jaloux si elles gagnent plus qu’eux ! Il y a quand même énormément de nervosité autour de ça ! Moi, j’ai déjà eu des femmes à un très haut niveau hiérarchique qui m’ont raconté des histoires horribles, lorsqu’elles ont reçu un honneur par exemple. Parfois, le type est tellement défait qu’il ne vient même pas !

Tout cela n’est ni de la faute des hommes, ni de celle des femmes. On est à une époque où pour faire bouger les lignes, il va falloir appuyer très fort. Pour ma part, je pense qu’il faut d’abord travailler auprès des femmes : c’est beaucoup plus compliqué de freiner une femme qui a compris tout ça !

Lorsqu’une femme est trop ambitieuse en entreprise, cela peut-il se retourner contre elle ?

Mercedes Erra : Oui, regardez Anne Lauvergeon. Je veux bien qu’elle ait fait toutes les erreurs du monde: je ne sais pas, je ne peux pas juger. Mais moi j’en ai vu cent cinquante des mecs qui gueulaient comme elle, qui avaient de la poigne. Dans ces cas-là, on considère toujours que c’est formidable ! Alors qu’Anne, elle n’a pas retrouvé de job depuis. Je la connais, elle me semble assez remarquable. On n’est pas très généreux avec l’autorité des femmes alors qu’on l’est avec celle des hommes.

Vous avez cinq enfants. Comment conciliez-vous votre carrière et votre vie personnelle ?

Mercedes Erra : Il faut d’abord être Super Woman ! Je ne dors pas, j’ai une santé de fer. Moi je ne voulais pas ne pas travailler et je ne voulais pas ne pas avoir d’enfants. Après, on n’est pas obligée d’en avoir cinq !

En agence, ce n’est pas simple pour les filles ! Je le vois, ce sont elles qui assument. Pour ma part, je n’aurais pas pu être avec un homme pour qui le travail féminin n’a pas de valeur. J’aurais préféré rester seule.

D’où vient votre engagement en faveur des femmes ?

Mercedes Erra : J’ai toujours senti une complicité avec les femmes. J’ai très tôt pensé qu’elles faisaient des choses importantes dans la vie et que les mecs, eux, parlaient beaucoup ! En fait, j’avais l’intuition que les femmes travaillaient plus. J’avais raison car, de fait, elles travaillent plus ! J’avais également le sentiment qu’elles se faisaient avoir. Tout cela m’est venu très petite, puis a été factualisé plus tard. Cela ne m’a pas rendue nerveuse pour autant : je pensais juste qu’il ne fallait pas se laisser faire !

Quel est votre regard sur les actions de Najat Vallaud-Belkacem ?

Mercedes Erra : D’abord, je trouve dommage que le Ministère des Droits des Femmes ait été dilué. Maintenant on a un immense ministère alors que les droits des femmes devraient avoir une place clé ! Tout le monde voit cela comme la dernière roue du carrosse du coup : on nous le supprime allégrement, on le remet, etc. Alors même que l’enjeu de l’égalité est énorme, modificateur de la société dans laquelle on vit.

Ceci dit, j’ai beaucoup de tendresse et de respect pour Najat Vallaud-Belkacem car j’aime bien la façon dont elle s’y prend : quasiment sans affectivité, rationnellement. Elle factualise. Je pense qu’elle fait un très beau travail. La seule chose qui m’inquiète est qu’elle ait moins de temps pour nous !

 

Claire Bauchart

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