Les rituels ? Précieux aussi en entreprise.

rituels entreprise

Si les rituels font partie intégrantes de nos cultures, ils ont aussi leur place dans le monde professionnel. Makeba Chamry, est fondatrice du Bureau des rituels (agence de design de rituels corporate) et co-auteure avec Edouard Malbois de « Les rituels en entreprise », paru aux éditions Eyrolles. Elle répond à nos questions.

Qu’appelle-t-on « rituels » en entreprise ?

Le mot rituel vient du latin « ritus » qui signifie ordonnancement. Les rituels sont en lien avec une structure qui donne du sens, des actes symboliques collectifs ou individuels. Dans l’entreprise, ces rituels sont, pour moi, des moments augmentés, à forte valeur ajoutée qui vont être signifiants, souvent récurrents avec pour objectif de faire vivre et grandir un collectif différemment, d’incarner des valeurs et de définir la culture d’entreprise. Une culture ne peut exister sans rituels. A travers ce cadre sécurisant et ressourçant, on prend le temps de la relation. Et c’est d’autant plus important aujourd’hui avec le travail en distanciel.

Même si ces rituels sont différents les uns des autres, ils suivent un protocole précis et identique…

Tout à fait. J’ai travaillé avec des chercheurs du Cnam (Conservatoire National des Arts et Métiers, Ndlr) en management, en gestion, des anthropologues de l’université de Cergy Pontoise. J’ai aussi échangé avec des chercheurs aux États-Unis à Stanford pour confronter mon intuition à l’issue de vingt ans d’expérience avec leurs recherches pluridisciplinaires. Cela m’a permis de confirmer certains points communs comme le fait d’avoir un cadre et un temps dédié structurant, une intention claire (déposer une émotion négative, nourrir une vision, témoigner une reconnaissance…). Les rituels se caractérisent également par une ouverture et une clôture indiquant ce moment hors de l’ordinaire. Le rituel est aussi ancré dans l’ici et le maintenant pour permettre une vraie présence. Ils nécessitent un facilitateur de rituel qui va être garant du cadre et de l’espace de ce moment.

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Quel est l’intérêt des rituels pour l’entreprise et ses collaborateurs ?

Les rituels sont des repères sécurisants qui vont marquer les passages, redonner du sens au collectif et apporter de la qualité relationnelle. Il y a une dimension régénératrice puisqu’ils apportent une nouvelle énergie de transformation. Les rituels ont également une dimension anxiolytique qui va libérer les angoisses, les émotions, donner un confort psychologique. C’est la raison pour laquelle les rituels ont toujours accompagné les rites de passage, de transformation. Le troisième intérêt, c’est la dimension symbolique. Dans les rituels, on utilise le symbole pour représenter les choses et les mettre à distance. Les neurosciences expliquent que le cerveau ne fait pas la différence entre le réel et le fictif et qu’il active les mêmes zones du cerveau. Les symboles sont donc utiles.

Il y a enfin une dimension holistique qui réunit nos diverses intelligences (émotionnelles, rationnelle, créative, spirituelle…) alors qu’on a tendance à rester uniquement dans le cognitif et n’utiliser finalement que 20 % de nos ressources. A titre individuel et collectif, le rituel apporte de la cohésion, un sentiment d’appartenance au groupe, l’incarnation des valeurs de l’entreprise, de sa culture. Ça permet d’avoir un espace de parole où l’on peut déposer régulièrement ses émotions négatives de manière structurée pour prévenir d’éventuels problèmes.

Ces derniers mois avec la crise sanitaire, les rituels ont pu être bouleversés, remplacés… Quel impact ça a pu avoir sur les collaborateurs ?

Ça a été pour eux une perte de repères. L’apéro du jeudi soir, la réunion hebdomadaire, la pause à la machine à café ce sont des routines, des rituels appauvris et mécaniques. Les rituels eux sont structurés et plus profonds. Mais même si ces routines étaient appauvries ça restait des rencontres avec l’autre et elles se sont perdues avec le travail à distance de ces derniers mois. Aujourd’hui, il y a une incertitude presque insoutenable pour les collaborateurs après deux années de pandémie, la guerre en Ukraine, la crise environnementale… Leur santé mentale est mise à mal. Dans l’hybride, il faut retrouver ces moments et on a encore plus besoin de vrais rituels. Désormais, quand on se retrouve au bureau c’est pour avoir ces espaces d’échange, de créativité, de partage différents et qui seront idéalement organisés par des rituels.

Quels nouveaux rituels peuvent exister dans ce contexte hybride ?

Il peut y avoir des rituels de cohésion, de création, de passage et de célébration. La météo des émotions est, par exemple, un rituel de cohésion qui permet de nourrir la qualité relationnelle. On peut la réaliser avant chaque réunion d’équipe. A tour de rôle, chacun dépose ses émotions, son ressenti intérieur, avec quoi il vient… Je trouve que c’est important pour mettre un peu de clarté sur le niveau d’énergie de chacun, pour voir comment vont les gens, faire attention à l’isolement.

Dans un contexte hybride où l’on est peut-être moins nourri par les autres, il peut aussi y avoir des rituels de création comme le puzzle de la vision. Il permet de travailler en équipe sur ses résultats commerciaux, ses objectifs sous forme de moodboard visuel, de collage créatif par des images, des symboles…

Dans votre ouvrage vous présentez deux autres grandes familles de rituels : le passage et célébration. De quoi s’agit-il ?

Le passage est ma famille « chouchou » parce que c’est quelque chose qu’on a oublié dans nos sociétés occidentales alors que c’est tellement important dans ce monde en pleine transformation. Les rituels de cette famille consistent à lâcher l’ancien pour accueillir ce qui doit arriver. On peut réaliser par exemple le rituel de « la saison des symboles ». Il s’agit de retrouver des rythmes de performance plus écologiques en se connectant à la nature. Chaque mois, on peut proposer une discussion autour d’un symbole en lien avec la saison (objet, son, goût…). On cherche ensuite comment rapporter ces sensations au monde professionnel. L’hiver est une saison où l’on est plus en repos, le printemps est une période d’éclosion des projets…

J’ai aussi réalisé un rituel de passage intéressant avec une équipe de commerciaux dans le domaine de l’événementiel. Ils avaient vécu des choses très dures avec l’annulation de leurs projets pendant la pandémie. Pour clore cette étape, on est allés au bois de Boulogne et on a symbolisé tous ces projets avortés par des cailloux et on a fait une cérémonie de funérailles. Chacun a pu s’exprimer pour laisser ce passé derrière soi et repartir sur de nouvelles bases.
Le rituel de célébration est plus courant (anniversaire, Noël…). En entreprise, on peut faire l’arbre totémique par exemple qui symbolise toutes les réussites et les fiertés de l’année de l’équipe. C’est une manière de le célébrer en le décorant avec des objets, des mots, tout ce qui symbolise ces réussites et de le laisser en exposition dans une pièce commune.

Finalement, c’est à chaque entreprise de définir et faire vivre ses rituels ?

Oui, il y a une part de liberté car l’idée c’est de co-construire ces rituels avec les entreprises. Je propose des thèmes, des rituels mais souvent ils partent des besoins de l’équipe, de la culture et la configuration de l’entreprise. On peut former un facilitateur de rituels au sein de l’entreprise pour cadrer ces temps, même si pour certains rituels il est nécessaire de faire appel à une personne externe pour faire vivre l’expérience. Les rituels peuvent évoluer dans le temps ou même s’arrêter si on n’en a plus besoin.

Dorothée Blancheton

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