Dans Les Négociatrices (Ed. Eyrolles), Julie Crouzillac explore la manière dont les femmes leaders négocient pour atteindre leurs objectifs tant dans leur vie professionnelle que personnelle. Rencontre.
Les négociatrices est un livre passionnant qui nous donne à voir des femmes leaders qui ont su tracer leur chemin mais pourquoi leur donner ce titre de négociatrice, en quoi le sont-elles ?

Julie Crouzillac : Donner ce titre, utiliser ce mot, c’était une façon de les présenter autrement : on parle beaucoup de modèles, de role-model, je souhaitais un mot qui évoque la façon dont elles sont actrices de leur trajectoire. Par ailleurs, on comprend en plongeant dans leurs parcours qu’elles ont mené de véritables négociations : avec elles-mêmes, avec leurs pairs, avec leurs origines ou encore avec les défis qu’elles relèvent tout au long de leurs vie perso et pro. On s’aperçoit d’ailleurs qu’elles ont envisagé à chaque étape tout cela comme une négociation : se préparer, s’entourer, définir un mandat, être claire sur le non-négociable et tant d’autres choses encore. Et puis, le titre est un clin d’œil à l’univers dans lequel je travaille.
Toutes ces femmes semblent avoir un système de valeurs très fort, d’où vient-il ?
Julie Crouzillac : C’est un point qu’elles ont toutes en commun et qui est déterminant. Leur système de valeurs ont des origines différentes : parfois, il s’agit du prolongement de ce qu’elles reçues durant leur enfance, leur éducation, parfois c’est l’imprégnation d’un modèle rencontré qui a été si inspirant qu’elles ont conservé comme un empreinte ses valeurs-là et parfois aussi c’est complètement le fruit d’un contre-modèle. Je pense notamment à la Docteur Emmanuelle Dolla (Médecin Anesthésiste réanimateur) qui a beaucoup parlé des contre-modèles et du fait qu’elle s’est souvent dit : je ne serais pas comme untel. Ce sont aussi des femmes qui se remettent régulièrement en cause et qui viennent tester en quelques sortes ce système de valeurs, sa robutesse et sa pertinence pour pouvoir en faire une véritable boussole.
Expliquez-nous comment elles l’utilisent pour guider leurs choix ?
Julie Crouzillac : Forte de leur matrice de valeurs, elles sont capables de gérer la phase inconfortable qui est celle la nuance : elles écoutent, elles lisent, elles ont l’esprit ouvert, elles acceptent de ne pas savoir. Une fois que cette phase-là est passée alors elles s’adossent à leurs valeurs pour acter une décision. C’est extrêmement puissant car elles ne tergiversent pas. La décision est prise et elle est juste car en totale conformité avec leurs valeurs. Ca leur donne beaucoup de force.
Vous dites : “La majorité des personnes pensent agir en cohérence avec leurs valeurs, mais en réalité elles agissent puis justifient leurs actions“, cette absence de cohérence et d’ancrage est-elle la cause principale de nos moments de remises en cause professionnelles et personnelles ?

Julie Crouzillac : En disant ça je voulais souligner le fait que parfois nous courrons après des chimères. Nous entretenons l’illusion – avec nous-même – que nous sommes faits de telles ou telles valeurs et que nous ne transigerons pas. Or, la réalité nous montre bien souvent l’inverse. C’est cette dissonance entre ce que nous pensons être et ce que nous sommes véritablement qui nous met dans des états psychiques instables et qui nous rend vulnérables. La remise en cause peut être salvatrices si elle est fondée et que nous avons le courage et l’énergie d’aller au bout.
Toutes ces femmes sont animées par le fait qu’elles vont réussir, comment ces femmes luttent-elles contre leurs croyances limitantes ?
Julie Crouzillac : En ayant d’autres croyances. Depuis la première heure, elles se sont mis en tête des « principes » vertueux. Quand par exemple, elles évoquent le fait qu’en travaillant, qu’en apprenant et qu’en essayant on finit par y arriver, c’est une croyance. Mais au lieu de les limiter à une seule dimension, au contraire, cette croyance-là les propulse : elles y vont, elles foncent, elles acceptent les conditions (parfois un apprentissage peut être long ou douloureux) et globalement ils y arrivent.
Comment gèrent-elles les crises qui peuvent advenir sur le plan personnel et professionnel ?
Julie Crouzillac : Elles gèrent avec leur style ! et c’est l’un des plus grands apprentissages. Elles laissent foncièrement leurs personnalités, leurs identités, leurs caractéristiques, leurs compétences, leurs aptitudes…Tout ce qui fait que ce sont elles, elles le laissent s’exprimer. Elles s’autorisent cela. C’est ce qui leur donne beaucoup de puissances et c’est aussi ce qui leur permet d’accepter les vicissitudes de la vie.
Elles semblent toutes avoir un goût pour l’incertitude, l’imprévisible, comment l’expliquez-vous?
Julie Crouzillac : Selon moi, il y a 2 axes à cette appétence. Le premier c’est leur capacité à gérer la nuance, à faire face aux situations inconfortables, à ne pas souffrir de certains biais cognitifs comme le biais de clôture par exemple. Le second, c’est qu’elles ont, par l’expérience faites, goûté à ce qu’apporte l’imprévisible et que c’est bien souvent encore plus grandiose que ce qu’elle prévoit ! Le schéma est donc vertueux : je sais gérer la phase amont et bien temporiser et dès que la vague d’incertitude déferle, je sais en tirer le meilleur parti !
Quelle est la femme de votre ouvrage qui incarne la négociatrice ultime ?
Julie Crouzillac : Elles le sont toutes de par les dimensions qu’elles incarnent. Mais si il y une image qui m’a frappée : c’est celle de Joelle Germanier Négociatrice Humanitaire seule femme dans une prison de plusieurs milliers d’hommes au bout du monde.
Interview réalisée par Véronique Forge-Karibian