Chez Business O Féminin, on raffole des parcours de femmes singuliers, aussi inspirés qu’inspirants. Celles qui s’autorisent à sortir du cadre pour créer leur propre partition. C’est le cas de Fanny Auger qui, comme elle le résume elle-même « a l’impression d’avoir eu mille vies ». Rencontre.
Comment décrierez-vous l’enfant que vous étiez ?
Fanny Auger : J’étais l’aînée de quatre enfants. J’ai grandi en Moselle, la Lorraine nord, terre d’immigration, marquée par le chômage et les fermetures d’usines. Je ne rêvais pas d’être mariée et d’avoir des enfants, je voulais voyager, écrire, être libre. J’ai deux passions qui façonnent ma vie : la culture et la transmission, et c’était déjà le cas, petite. J’étais secrète, un peu timide, avec peu de confiance en moi. Souvent à l’écart de mes camarades, j’ai souvenir que le temps passait très lentement. Je faisais parfois des crises d’angoisse car j’étais bonne élève, mais je m’ennuyais beaucoup à l’école. Alors les livres étaient un refuge qui me permettait de nourrir ma curiosité et d’explorer plein de sujets.
Mes parents n’étaient pas diplômés, mais souhaitaient que nous fassions de longues études. Grâce à eux, j’ai vite compris que c’était la clé de la liberté. Ils recevaient beaucoup de monde et à leur table, il pouvait y avoir un député-maire comme des migrants en situation illégale. Ils étaient vraiment dans l’accueil de l’autre, très engagés dans des associations et je pense que j’ai aussi cela dans le sang.
Justement comment passe-t-on d’une petite fille timide et peu sûre d’elle à une entrepreneuse tournée vers les autres qui enseigne l’art de la conversation ?
Fanny Auger : J’ai très vite compris que si je ne travaillais pas ma confiance en moi, personne ne pourrait m’aider là-dessus. Nourrir ma curiosité sans cesse a été une clé, mais je me suis aussi tournée vers le sport et le théâtre. J’avais aussi la chance d’être née dans une famille formidable qui m’a toujours soutenue. Le fait de venir d’un milieu plutôt modeste où rien ne m’était acquis, m’a en quelque sorte obligée à travailler sur mes compétences douces, portée par la sensation de n’avoir rien à perdre. J’ai fait hypokhâgne et khâgne à Metz, une licence puis une maîtrise de Lettres Modernes à la Sorbonne, puis Sciences-Po Paris, et j’ai adoré cela.
En parallèle, j’ai fait toutes sortes de petits boulots pour participer au financement de mes études : monitrice de centre aéré, représentante dans les magasins, hôtesse d’accueil, serveuse… Je me suis aussi nourrie de ces rencontres, de ces échanges et cela m’a aidé à devenir la personne que je suis. Le fait de n’avoir pas de role model aide dans un sens à creuser sa propre voie. À Sciences-Po, j’ai eu envie d’explorer des domaines qui étaient loin de ce qui m’était familier comme le marketing. C’est comme cela que j’ai débuté par un stage chez l’Oréal, avant d’être embauchée.
Vous avez ensuite enchaîné les expériences professionnelles, notamment à l’étranger, avant de vous lancer dans l’entrepreneuriat.
Fanny Auger : Oui, à 25 ans, j’ai démissionné pour partir à Dubaï avec un aller simple. Je n’y avais jamais été, mais j’étais toujours portée par sensation que je n’avais rien à perdre. De retour en France, la marque italienne Fratelli Rossetti m’a proposé un poste de Directrice commerciale France. En parallèle, ma meilleure amie, Fany Péchiodat, lançait My Little Paris et je suis devenue consultante pour elle, l’accompagnant sur divers sujets comme la recherche de bureaux, le recrutement, le commercial… Cela me permettait de comprendre les enjeux digitaux et l’univers d’une start-up.
Après une parenthèse d’un an et demi à Milan en tant que Directrice commerciale internationale de Fratelli Rossetti, j’ai lancé ma première boîte autour de l’art épistolaire, Lettres d’un Inconnu, en 2012. Deux fois par mois, je tendais ma plume à un.e inconnu.e qui me racontait son histoire et je la reproduisais sur du très beau papier, en soignant chaque détail avant de l’envoyer aux inscrits. Mais il n’y avait pas de business model et après plusieurs années à y consacrer beaucoup d’énergie, près de 4000 abonnés, j’ai arrêté à contrecœur.
C’est à ce moment-là que je suis tombée par hasard à Londres sur une affiche, The School of Life et que j’ai découvert cette école unique, fondée par Alain de Botton, philosophe et auteur. Une école où l’on n’apprend pas ce qu’on apprend à l’école, une école où l’on suit avant tout des cours collectifs autour de l’art, de la philosophie afin de développer ses softs skills. J’ai amené le concept à Paris et cela fait 10 ans que nous proposons des programmes complets pour développer l’intelligence émotionnelle et les soft skills des collaborateurs de grands groupes et de petites structures.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à l’art de la conversation ?
Fanny Auger : Quand j’ai été formée à la pédagogie The School of Life, Alain de Botton m’a invitée à travailler un cours sur la conversation. J’ai alors énormément accumulé d’informations théoriques, en lisant, me documentant. Puis les échanges avec les gens pendant les cours que j’enseignais m’ont permis de creuser le sujet encore plus. C’est grâce à cela que j’ai pu enrichir mes connaissances et en tirer un livre*. Je n’enseigne pas l’éloquence ou la rhétorique, cela ne m’intéresse pas. Ce que j’aime dans la conversation, c’est la rencontre. On découvre notamment en se penchant sur le sujet, que l’écoute n’est pas évidente, que l’on peut avoir peur des silences, d’évoquer certains sujets comme la mort…
Alors comment peut-on s’enrichir avec une conversation réciproque ? Comment apprendre à observer avant de parler et se mettre au diapason de son interlocuteur ? Une conversation réussie est une conversation où l’on apprend quelque chose de nouveau sur soi et sur le monde. C’est aussi ce que j’explore avec mon podcast sur L’Art de l’attention. Il y a une phrase que j’adore de William Butler Yeats : « Il n’y pas d’inconnus ici, il y a juste des amis que tu n’as pas encore rencontrés ».
Vous êtes plutôt du genre à savourer l’instant présent ou à vous projeter sans cesse ?
Fanny Auger : Je suis une grande profiteuse de l’instant présent, mais j’ai beaucoup de rêves, parfois même qui m’empêchent de dormir la nuit ! Des rêves d’écriture, d’inventions, de voyages et d’expériences.
*Trêve de bavardages : Retrouvons le goût de la conversation, Fanny Auger, Editions Eyrolles
Vanina Denizot
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