Lilou ou l’histoire d’une vie de hors-la-loi

Lilou

L’histoire de Lilou est hors du commun et pourtant c’est aussi une histoire ordinaire, celle d’une petite fille qui se retrouve ballotée de familles d’accueil en familles d’accueil avant de passer par la case pensionnat qui finira de “casser” ce petit être en quête désespérée de repères. La suite est une série de rencontres hasardeuses, amoureuses qui scelleront sa vie à jamais. Les bordels, les cavales, les prisons, Lilou a tout vécu…

Dans ce livre fort, touchant, courageux, elle dit presque tout de cette vie qui ressemble à un roman mais qui est pourtant sa vie, tout simplement ! Rencontre avec Claire Bauchart, qui a accompagné Lilou dans ce récit, et avec Lilou, cette héroïne, malgré elle… 

Comment as-tu rencontré Lilou et qu’est-ce qui t’a fascinée dans ce parcours de femme ?

Claire Bauchart : J’ai rencontré Lilou il y a tout juste un an, en juin 2013. Je réalisais alors un documentaire intitulé Femmes de voyous pour la chaîne TEVA. J’ai tout de suite trouvé que Lilou avait un profil qui dénotait. Elle peut être très drôle, a un parler bien à elle (que j’ai d’ailleurs retranscrit dans le livre) et un look particulier : toujours pimpante, des talons hauts, des ongles longs et colorés. Un vrai personnage !

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Puis surtout, j’ai été d’emblée saisie par le passé hors-norme de cette femme: la clandestinité, la prostitution, la cavale, les gardes à vue, en passant par les mariages au parloir. J’ai vite compris qu’elle avait vécu beaucoup plus de choses que ce que le reportage me permettrait de raconter. Par ailleurs, son parcours m’a semblé radicalement différent des fantasmes véhiculés par le cinéma au sujet de la vie des femmes du Milieu. Du coup, une fois le montage terminé, j’ai proposé à Lilou d’écrire un livre, le roman de sa vie en quelque sorte.

L’histoire de Lilou, c’est une enfance ballotée de familles d’accueil en familles d’accueil et de mauvaises rencontres qui la mènent à la prostitution. Y a-t-il des moments où cet engrenage aurait pu s’arrêter? Et pourquoi cela ne fut pas le cas?

Claire Bauchart : Je pense qu’il lui aurait été très difficile de sortir de cet engrenage. D’ailleurs, l’unique fois où elle a essayé de s’échapper, son conjoint le lui a fait payer le prix fort en l’envoyant pendant un mois se prostituer à Barbès. Comme elle le dit, dans l’esprit de ce type d’hommes, une femme n’a pas son mot à dire et doit filer droit. Par ailleurs, Lilou a évolué dans le monde de la nuit et des bars : un univers propice aux mauvaises rencontres.

Elle est souvent sous l’emprise des hommes avec qui elle a vécu et qui l’ont entraînée dans les mauvais chemins. Comment expliquer sa “fidélité” envers et contre tout? 

Claire Bauchart : Lilou a appartenu à un système en marge des normes sociales communément admises : un monde où les femmes ne pouvaient pas quitter leurs hommes facilement sous peine de représailles. Concernant la prostitution notamment, elle explique avoir subi un lavage de cerveau : peu à peu, insidieusement, elle ne s’est retrouvée entourée que de personnes évoluant dans ce milieu-là. Idem pour la cavale : elle n’aurait pas pu quitter son homme au moment où il a décidé de rentrer dans la clandestinité pour échapper à la police. Elle lui devait fidélité envers et contre tout.

Quelle femme est-elle aujourd’hui, comment vit-elle? 

Claire Bauchart : Lilou vit à quelques kilomètres de Bordeaux. Elle est aujourd’hui « rangée » comme on dit. Lilou ne veut plus avoir à faire au monde de la délinquance, de la voyoucratie et estime avoir assez payé…

Elle s’occupe de ses deux petites-filles, les enfants de son plus jeune fils et y tient beaucoup, c’est une vraie « mamie-gâteau ». Malheureusement, à cause des relations tendues avec ses deux aînés, elle est privée de ses quatre autres petits-enfants. Elle continue d’assister Henri, le premier homme qu’elle a épousé en prison. Depuis plus de deux ans, elle lui rend visite au parloir une fois par semaine. Elle organise ses dates de vacances et autres en fonction de cela.

La parole à Lilou … Pourquoi avoir voulu raconter votre vie?

Lilou : Depuis longtemps, mes proches me disent : « Ta vie mérite un livre. » Je n’y avais jamais pensé sérieusement, notamment parce que j’ai de gros problèmes avec deux de mes enfants, les plus grands. Cela me bloquait. Puis, j’ai entamé une longue thérapie au cours de laquelle mon psychiatre m’a fait comprendre que j’étais plus une victime qu’une coupable. En parallèle, ma vie de patachon intéresse les journalistes, j’ai donc été sollicitée pour différentes interviews. C’est comme cela que j’ai rencontré Claire. Aujourd’hui, ce livre représente la fin d’une histoire. Je le ferme pour en ouvrir un autre, pour repartir sur une nouvelle vie.

Vous expliquez que votre mère vous a placée dans des familles d’accueil car en tant que fille-mère elle ne pouvait pas vous assumer. Ne lui en voulez-vous pas un peu de ne pas avoir pris le temps de vous mettre en garde contre ce qu’elle avait vécu ?

Lilou : Je ne lui en veux absolument pas. J’ai été placée extrêmement jeune en famille d’accueil, puis en foyer. Je n’ai jamais eu le temps de savourer les paroles d’une mère.

Vous portez un regard très noir sur les prisons qui cassent. Est-ce pour vous l’unique raison des récidives de vos compagnons?

Lilou : Non, la prison n’explique pas à elle seule ces récidives. Mais il est vrai que le milieu carcéral implique pas mal de choses : les longues peines coupent les détenus du monde. Lorsqu’ils sortent, ils n’ont aucune aide, ils sont lâchés dans la nature du jour au lendemain. S’ils sont épaulés par des proches, ils ont des chances de s’en sortir. Si ce n’est pas le cas, ils replongent car ils se retrouvent seuls et sans argent.

Avec le recul était-il vraiment impossible de quitter ce « milieu » et de reprendre une vie « normale » ?

Lilou : Cela m’était impossible. Lorsque j’ai démarré dans ce milieu, il y avait des règles très strictes. J’ai tenté une fois d’échapper à Carlos, je l’ai payé très cher ! J’ai été punie, envoyée pendant un mois me prostituer dans des conditions ignobles à Barbès.

N’aviez vous pas pris goût à cette marginalité ? 

Lilou : En toute franchise, oui et non. Oui parce que j’ai vécu des choses merveilleuses, j’ai vécu dans le luxe notamment. Mais tout cela, je l’ai payé à prix très fort : j’ai fait de la prison, j’ai dû assister mes maris lorsqu’eux-mêmes étaient incarcérés et j’en passe !

Votre premier compagnon, Carlos vous entraîne dans la prostitution. Pourtant il y a peu de rancœur dans ce livre. Pourquoi ?

Lilou : J’ai peu de rancœur tout d’abord car Carlos est le père de l’un de mes enfants. Puis surtout, il faisait partie d’un milieu où il y avait des codes à respecter. J’étais sa femme donc je devais accepter de vivre selon ses critères. Comme il m’arrivait de me rebeller, il ne pouvait pas fermer ses yeux sur mon comportement, ses amis ne l’auraient pas compris.

Avez-vous des regrets ?

Lilou : Mon plus gros regret concerne mes enfants. Ils ont souffert car, avec la vie que j’ai menée, j’ai souvent été absente et n’ai pas pu m’en occuper à plein temps, notamment lorsque j’étais en cavale. Mes deux premiers notamment me font énormément de reproches. Ils m’accusent de ne pas avoir été une mère alors que, malgré les circonstances compliquées, j’ai tout fait afin qu’ils ne manquent de rien, en payant des écoles privées par exemple. Mais comme ma fille m’a dit un jour, « ce n’est pas tout », ce que je comprends…

Aujourd’hui, comment imaginez-vous la suite et quel est votre souhait avec ce livre ?

Lilou : Mon premier souhait est que ma fille, avec qui je suis en conflit, lise ce livre. J’aimerais qu’elle comprenne qu’à l’époque cela ne m’était pas facile de faire autrement, que j’étais tombée dans un engrenage. Plus généralement, mes trois enfants ne connaissent pas tout de ma vie. Je me suis tue, je me suis laissée juger par eux. A mes yeux, le livre représente une libération totale par rapport à tout ce que j’ai affronté.

Livre: “Moi, Lilou, hors-la-loi par amour”, ed. Michalon  ici

 Propos recueillis par Véronique Forge

 

 

 

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