Intelligence artificielle : la révolution de tous les fantasmes

Intelligence artificielle

Elle fascine, effraie ou laisse dubitatif. L’intelligence artificielle (IA pour les initiés) n’en finit plus de truster les colonnes des journaux. Petit tour d’horizon des grands mythes qui l’entourent, à travers les regards aiguisés de deux spécialistes.

« L’intelligence artificielle a longtemps été cantonnée au monde des chercheurs. Maintenant, tout le monde ne parle, au point de générer bon nombre d’illusions, reflétant surtout une méconnaissance du sujet. » Virginie Mathivet sait de quoi elle parle. Docteure en IA, cette chargée de recherche et développement est également l’auteure de L’intelligence artificielle pour les développeurs : concepts et implémentations (éditions ENI). « Celles et ceux qui estiment que l’IA peut potentiellement mener à la fin de notre monde me font bondir, » martèle de son côté Jean-Gabriel Ganascia. Ce chercheur spécialiste de la question, professeur à l’université Pierre et Marie Curie, est par ailleurs président du comité d’éthique du CNRS, et auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels L’âme machine ou Le mythe de la singularité : faut-il craindre l’intelligence artificielle, parus au Seuil. « L’esprit de notre époque donne à la technologie des attributs de toute puissance, » déplore-t-il. Et ce sur plusieurs thématiques.

Le travail va disparaître

L’intelligence artificielle est destructrice d’emplois : une idée qui circule tant qu’elle s’est même invitée lors des débats de la dernière présidentielle. « Les études annonçant la fin du travail ne sont pas fondées méthodologiquement », assure Jean-Gabriel Ganascia. « Il y a bien sûr une mutation du travail à l’œuvre mais relevons tout de même que les pays disposant le plus de robots sont également ceux où le taux de chômage est le plus faible, » argue-t-il.

Mini Guide Leader

Une vision recoupant celle de Virginie Mathivet : «  l’intelligence artificielle ne détruit pas les emplois, mais les déplace. » Si les métiers répétitifs sont effectivement appelés à disparaître, cette experte souligne que « pour chaque emploi détruit, un ou plusieurs sont créés: il faut bien fabriquer, coder l’IA. Un Google Home suppose des gens pour le construire, assurer le SAV. »

Dans ce contexte, se pose surtout la question, cruciale, de la formation : « les profils peu qualifiés vont effectivement avoir de plus en plus de mal à trouver un emploi », concède Jean-Gabriel Ganascia. « L’enjeu est surtout de développer des structures afin de permettre de se former tout au long de la vie. »

La fin des biais

 Autre idée répandue circulant au sujet de l’IA : elle permettrait de mettre fin aux biais, notamment de recrutement. Au point pour certaines start-ups d’en faire leurs choux-gras. Nos deux experts tiennent néanmoins à apporter quelques nuances : « les algorithmes se mettent en place sur la base d’exemples qu’on leur soumet. Or, s’il y des biais dans les exemples, ils les intègrent, » souligne Virginie Mathivet. « Il convient donc de rester très vigilant sur ce point. »

Jean-Gabriel Ganascia ne dit pas autre chose : « Couplée à la volonté de supprimer certains biais, l’intelligence artificielle est capable du meilleur comme du pire. » Et de citer en la matière les travaux d’une chercheuse américain, Cathy O’Neil, auteure de Weapons of math destruction. « Certains étudiants, issus de milieux modestes, peuvent se retrouver privés de bourse parce que leur situation est évaluée comme étant trop risquée par les algorithmes qui intègrent des éléments comme le code postal, » relève la mathématicienne dans ses travaux.

Assurance et éthique

« Il s’agit là d’un vrai problème. » Pour Virginie Mathivet, l’évolution rapide de la technologie appelle à se poser des questions majeures d’éthique. « Or, pour l’heure, les lois évoluent lentement par rapport à l’intelligence artificielle» Le développement des voitures ou avions autonomes soulèvent une question : vers qui se tourner en cas d’accident ? « Imaginez que vous avez acheté une voiture autonome », commente Jean-Gabriel Ganascia. « Elle s’aperçoit que cinq personnes traversent la rue au dernier moment, elle ne peut plus tourner : qui doit-elle tuer ? Les piétons ou le passager ? » Un cas qui, selon ce chercheur, reste de l’ordre de l’exceptionnel, tant les voitures autonomes ont le potentiel de réduire quasiment à néant la mortalité routière.

La problématique se pose également dans le domaine militaire avec les robots tueurs. « Si un robot tue une cible, qui s’avère, au final, être un civil, qui doit être considéré responsable de cette bavure ?», pointe encore Virginie Mathivet.

L’homme dépassé par la machine

« Depuis que les machines font des multiplications, elles sont meilleures que nous en calcul. Pour autant, cela ne nous dépossède en rien de nous-mêmes, » explique Jean-Gabriel Ganascia. « L’esprit n’est pas dissociable de la matière, le corps n’est pas jetable. »

« L’humain est certes battu sur certaines tâches précises, mais les robots ne sont pas capables d’émotions », ajoute Virginie Mathivet. « Plutôt que d’évoquer un dépassement de l’humain par la machine en calcul ou aux échecs, nous pourrions peut-être relever qu’il est impressionnant que certains d’entre nous parviennent à se mesurer à des ordinateurs, boostés par des algorithmes décuplant leurs capacités de calculs, » conclut la chercheuse.

Claire Bauchart

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