Gabrielle Légeret – « Les inégalités de genre sont sociales, économiques, mais également territoriales ! »

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Les jeunes filles issues des zones rurales cumulent les obstacles à l’heure de construire leur avenir. Encore trop souvent oubliée des réflexions d’égalité de genre, la dimension territoriale est un enjeu crucial, particulièrement en ces temps de crise sanitaire et économique.

On le sait, les inégalités de genre sont économiques et sociales. Mais elles sont aussi territoriales. De cette dimension, on parle trop peu, laissant de côté des millions de jeunes filles pour qui, dans les territoires ruraux, les marches à franchir pour préparer leur avenir académique et professionnel sont plus hautes. Et ce, d’autant plus que dans la France périphérique les barrières géographiques et sociales s’entremêlent.

Gabrielle Légeret – « Les inégalités de genre sont sociales, économiques, mais également territoriales ! »

Aujourd’hui, ce sont près de 80% des classes populaires qui vivent en dehors des grandes métropoles et de leurs banlieues.[1]

Une jeune fille originaire d’un village de la Drôme ou d’une petite ville vosgienne n’est pas dans la même situation de départ que celle qui grandit au cœur de Lyon : elle n’a pas accès aux mêmes opportunités académiques et professionnelles à proximité de son domicile, elle a moins de rôles-modèles autour d’elle, moins de réseaux et moins de possibilités de mobilité sociale et géographique.

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Ainsi les « filles de la campagne » s’autocensurent-elles encore plus que les autres et se cantonnent souvent à des professions du « care ». À titre d’exemple, les professions d’aide à domicile, d’aide-ménagère et d’assistante maternelle, fortement représentées dans ces territoires, sont féminines à 97,7%[2]. Et au sein des lycées agricoles, les jeunes filles constituent plus de 90% des effectifs de la spécialité « service aux personnes et aux territoires »[3].

Il est plus difficile pour ces jeunes filles rurales de s’imaginer occuper des professions qui n’existent pas dans leur environnement immédiat. Ainsi une jeune fille d’origine modeste dans la campagne de l’Ain ou de la Loire aura d’autant plus de difficultés à accéder au métier de diplomate, de pilote de chasse ou d’ingénieure. Mais y compris au sein même de leurs territoires, ces adolescentes ont parfois des difficultés à imaginer exercer des métiers traditionnellement masculins : vigneronne, couvreuse, cheffe de chantier ou cheffe d’entreprise. Par manque de modèles, les préjugés persistent.

Et si elles sont moins encouragées que les garçons à poursuivre dans la voie professionnelle, elles ne s’autorisent pas pour autant des études longues : 47% d’entre elles visent au plus un niveau bac+3. C’est 12 points de moins qu’en zone urbaine[4]. Il faut dire que lorsqu’elles quittent leur village, leur hameau ou leur petite ville le temps de leurs études, et envisagent de revenir, les ressources économiques du territoire ne sont pas toujours suffisantes pour leur permettre de trouver un emploi qui corresponde à leur nouveau niveau de diplôme. Elles subissent donc un déclassement et peuvent demeurer sans emploi comme le raconte Benoît Coquard dans son ouvrage Ceux qui restent[5].

Les contraintes sont également supplémentaires en matière de stabilité des contrats professionnels : si elles accèdent aussi souvent à l’emploi que les jeunes filles urbaines, elles occupent plus fréquemment des postes d’intérimaires à durée déterminée, des contrats précaires avec des horaires de travail irréguliers qui se caractérisent par des revenus relativement faibles[6] [7]. Elles sont donc les premières sans emploi en temps de crise.

À l’heure où l’on a décidé de faire de l’égalité femmes-homme la grande cause du quinquennat, il est urgent d’aller chercher les jeunes filles des territoires ruraux afin de leur permettre de réaliser leur potentiel. Beaucoup d’initiatives ont été mises en place pour que les jeunes filles des grandes métropoles puissent s’affranchir des barrières liées à leur sexe. Mais les jeunes filles de la ruralité, pour qui les obstacles sont nombreux, n’ont pas accès à ces dispositifs. Ceux-ci doivent être déployés dans ces territoires.

Avec Chemins d’avenirs, nous avons créé dès 2017 « Elles osent », le premier programme d’empowerment à destination des jeunes filles des zones rurales. Depuis trois ans, nous mobilisons des femmes aux parcours remarquables, qui disent à ces jeunes filles : « vous pouvez le faire ! ».  À notre échelle, nous mettons en place des actions afin de lever une à une les barrières qui s’imposent aux parcours de ces jeunes femmes.

Ouvrir la voie à ces jeunes tourangelles, ardéchoises, vosgiennes, corréziennes… est un enjeu crucial en matière d’égalité de genre et, plus largement, en matière d’égalité des chances. Si nous voulons attaquer ces inégalités à leur racine, c’est aussi là qu’il faut agir dès les prochains mois !

 

Gabrielle Légeret

 

[1] « La question sociale n’est pas circonscrite de l’autre côté du périph, mais de l’autre côté des métropoles, dans les espaces ruraux, les villes moyennes, dans certains espaces périurbains qui rassemblent aujourd’hui près de 80% des classes populaires », Guilluy Christophe, La France Périphérique, Éditions Flammarion, 2014.

[2] Observatoire des inégalités, Une répartition déséquilibrée des professions entre les hommes et les femmes, 2014.

[3] Ministère de l’agriculture, Panorama de l’enseignement, agricole, 2012.

[4] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Conditions de vie des jeunes femmes en zone rurale : des inégalités par rapport aux hommes ruraux et aux urbaines, juillet 2020.

[5] Ibidem.

[6] Ibidem.

[7] Coquard Benoît, Ceux qui restent, Éditions La Découverte, 2019.

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