L’apprentissage ne se limite pas aux salles de classe ni aux formations traditionnelles. Diane Lenne, auteure de Apprendre les uns des autres aux éditions Eyrolles, défend une idée forte : chacun détient des savoirs issus de ses expériences qu’il peut transmettre aux autres. Avec sa méthode WAP (We Are Peers), elle structure l’apprentissage entre pairs et accompagne les entreprises dans la création de communautés apprenantes. Un levier puissant pour développer l’autonomie, accélérer la mise en action et renforcer la culture collaborative.
Votre livre s’ouvre sur une conviction forte : « tout le monde sait quelque chose« . Comment cette idée a-t-elle pris racine dans votre parcours personnel ?
Vous avez expérimenté l’ennui scolaire, puis l’effervescence d’espaces comme La Paillasse. Quelles ruptures ou « déclics » ont orienté votre démarche vers la pairagogie ?
- C’était au moment de l’organisation de conférences-débats dans mon école ou nous invitions des personnalités à interviewer, je me suis rendue compte que l’on progresserait encore davantage si nous-mêmes, étudiant.e.s prenions la parole.
- Puis, en organisant des groupes de coaching pour permettre aux résidents de la aillasse de partager leurs connaissances, on m’a offert un livre sur l’influence positive que peut avoir un groupe de pairs sur les comportements humains, et je me suis plongée dans le sujet.
Vous proposez une méthodologie concrète, WAP (We Are Peers), pour structurer l’apprentissage entre pairs. En quoi consiste t-il ?
Chaque participant se prépare en amont, sélectionne une expérience à partager. Pendant l’atelier, les participants sont répartis en groupes et chacun découvre ce que les autres ont vécu. Cela nourrit la curiosité et l’envie d’apprendre. Le groupe échange ensuite, affine et analyse l’expérience racontée. Tous les apprentissages sont compilées en une synthèse collective de tous les cas concrets.
En quoi l’entreprise doit aujourd’hui être une entreprise « apprenante » ?
Diane Lenne : Une entreprise doit être “apprenante” parce que les modèles économiques sont bouleversés et les changements vont très vite. Les méthodes de formation classiques ne suffisent plus. Les organisations n’ont pas besoin d’exécutants parfaits, mais de personnes capables d’innover, de tester, d’apprendre de leurs erreurs et d’avoir confiance.
François Taddei rappelait déjà dans Apprendre au XXIe siècle que la capacité d’apprentissage est une compétence clé dans un monde en mouvement. Ce qui était autrefois réservé à une élite doit désormais être offert à tous : donner à chacun les moyens de se développer par lui-même.
Quel rôle jouent les communautés apprenantes pour maintenir l’agilité et l’envie d’apprendre ?
Vous affirmez que l’apprentissage entre pairs développe « l’autonomie et le pouvoir d’agir« . Cette méthode est-elle finalement la solution pour accélérer la mise en action ?
- Capitaliser sur l’expérience passée : permet de ne pas partir d’une page blanche et ne pas réinventer la roue
- S’appuyer sur les forces : on valorise ce qui a fonctionné le mieux pour chacun plutôt que d’entourer en rouge les faiblesses, cela donne un élan positif de passage à l’acte
- L’influence des “pairs” : permet d’obtenir des pratiques réplicables avec un faible effort de transposition
Comment mettre en place concrètement ces communautés ?
Vous évoquez aussi dans le livre, les limites de cette méthode et notamment la « stupidité collective » : Y a-t-il plus d’inconvénients que d’avantages ? Et comment y remédier dans ce cas ?

Diane Lenne : L’apprentissage informel entre pairs n’est pas toujours bénéfique. Quand il n’est pas structuré, il peut devenir contre-productif, voire nocif.
Climat relationnel fragile
Quand la sécurité psychologique manque, les participants ont peur de s’exprimer et s’autocensurent. La pression hiérarchique ou la pression de conformité peut bloquer la parole. Certains se sentent exclus, et seuls quelques-uns prennent toujours la parole.
Qualité des échanges
Quand les conversations restent superficielles, elles ressemblent à des discussions de café. Les échanges se dispersent, ce qui entraîne une perte de temps. Sans cadre, le groupe peut même se transformer en “bureau des plaintes”, où la négativité prend le dessus sur l’apprentissage.
Dérives sociales
Un groupe non structuré peut aussi favoriser les manipulations ou les ragots, qui créent des tensions. Les comparaisons et les rapports de force renforcent une culture compétitive. Le risque est de tomber dans l’entre-soi, l’individualisme et les silos, ce qui alimente la méfiance.
Faible valeur stratégique
Il est difficile de transformer des pratiques individuelles en apprentissage collectif sans cadre clair. Les “best practices” sont souvent mal comprises. La hiérarchie ne reconnaît pas toujours ces échanges, qui peuvent alors être perçus comme secondaires ou utiles seulement à quelques-uns.
C’est pourquoi une approche structurée comme la méthode WAP est essentielle. Elle permet de transformer les communautés apprenantes en leviers stratégiques, inclusifs et durables.
La méthode WAP peut-elle aider les femmes à mieux prendre leur place et prendre la parole en réunion par exemple ?
Diane Lenne : Oui. La méthode WAP crée un cadre sûr qui favorise l’expression de toutes les voix, y compris celles qui s’effacent en réunion. Elle aide les femmes à mettre en mots leurs savoirs, à renforcer leur confiance et à s’appuyer sur l’appartenance à une communauté de pairs. Ainsi, elles progressent plus vite et prennent leur place avec plus de force.