Diane Lenne : Comment l’apprentissage entre pairs transforme entreprises et individus

apprentissage entre pairs

L’apprentissage ne se limite pas aux salles de classe ni aux formations traditionnelles. Diane Lenne, auteure de Apprendre les uns des autres aux éditions Eyrolles, défend une idée forte : chacun détient des savoirs issus de ses expériences qu’il peut transmettre aux autres. Avec sa méthode WAP (We Are Peers), elle structure l’apprentissage entre pairs et accompagne les entreprises dans la création de communautés apprenantes. Un levier puissant pour développer l’autonomie, accélérer la mise en action et renforcer la culture collaborative.

Votre livre s’ouvre sur une conviction forte : « tout le monde sait quelque chose« . Comment cette idée a-t-elle pris racine dans votre parcours personnel ?

Diane Lenne : Pendant mes études, j’ai observé que beaucoup de mes camarades ont vécu des expériences singulières, pratiques des activités sur des sujets passionnants. Pourtant, ce sont des choses qu’ils gardent pour eux et relèguent à la sphère personnelle. J’ai découvert par la suite la part tacite des connaissances qui indique bien qu’une grande part de nos connaissances proviennent de nos expériences personnelles.
Une source de connaissances qui n’est pas assez reconnue dans le système éducatif et de travail.

Vous avez expérimenté l’ennui scolaire, puis l’effervescence d’espaces comme La Paillasse. Quelles ruptures ou « déclics » ont orienté votre démarche vers la pairagogie ?

Diane Lenne : J’ai eu 2 déclics :
  • C’était au moment de l’organisation de conférences-débats dans mon école ou nous invitions des personnalités à interviewer, je me suis rendue compte que l’on progresserait encore davantage si nous-mêmes, étudiant.e.s prenions la parole.
  • Puis, en organisant des groupes de coaching pour permettre aux résidents de la aillasse de partager leurs connaissances, on m’a offert un livre sur l’influence positive que peut avoir un groupe de pairs sur les comportements humains, et je me suis plongée dans le sujet.

Vous proposez une méthodologie concrète, WAP (We Are Peers), pour structurer l’apprentissage entre pairs. En quoi consiste t-il ?

Diane Lenne : Une majorité de nos savoirs sont tacites, issues des expériences que nous vivons. La méthode d’apprentissage entre pairs avec WAP partage et capitalise les connaissances tacites de chacun lors d’ateliers. Cette manière d’apprendre 100% participative et impactante est jusqu’à 5 fois plus rapide que les méthodes classiques.

Chaque participant se prépare en amont, sélectionne une expérience à partager. Pendant l’atelier, les participants sont répartis en groupes et chacun découvre ce que les autres ont vécu. Cela nourrit la curiosité et l’envie d’apprendre. Le groupe échange ensuite, affine et analyse l’expérience racontée. Tous les apprentissages sont compilées en une synthèse collective de tous les cas concrets.

En quoi l’entreprise doit aujourd’hui être une entreprise « apprenante » ?

Diane Lenne : Une entreprise doit être “apprenante” parce que les modèles économiques sont bouleversés et les changements vont très vite. Les méthodes de formation classiques ne suffisent plus. Les organisations n’ont pas besoin d’exécutants parfaits, mais de personnes capables d’innover, de tester, d’apprendre de leurs erreurs et d’avoir confiance.

Mini Guide Leader

François Taddei rappelait déjà dans Apprendre au XXIe siècle que la capacité d’apprentissage est une compétence clé dans un monde en mouvement. Ce qui était autrefois réservé à une élite doit désormais être offert à tous : donner à chacun les moyens de se développer par lui-même.

Quel rôle jouent les communautés apprenantes pour maintenir l’agilité et l’envie d’apprendre ?

Diane Lenne : Les communautés qu’on accompagne le plus sont les communautés de management, learning, RH & learning et projets. Avec ces communautés, les leaders embarquent leurs équipes dans une culture d’apprentissage en continu et montrent l’exemple.
Cet état d’esprit ne reste pas des discours, il se vit. Le collectif se met en mouvement. Les écarts de niveaux se réduisent. Chacun développe son potentiel et devient une ressource pour les autres. Les communautés deviennent le moteur de la culture apprenante.

Vous affirmez que l’apprentissage entre pairs développe « l’autonomie et le pouvoir d’agir« . Cette méthode est-elle finalement la solution pour accélérer la mise en action ?

Diane Lenne : C’est une des solutions effectivement pour 3 raisons :
  • Capitaliser sur l’expérience passée : permet de ne pas partir d’une page blanche et ne pas réinventer la roue
  • S’appuyer sur les forces : on valorise ce qui a fonctionné le mieux pour chacun plutôt que d’entourer en rouge les faiblesses, cela donne un élan positif de passage à l’acte
  • L’influence des “pairs” : permet d’obtenir des pratiques réplicables avec un faible effort de transposition

Comment mettre en place concrètement ces communautés ?

Diane Lenne : Nous avons formalisé 8 leviers clés pour garantir la contribution et l’impact stratégique des communautés apprenantes :
1. Constituer une communauté avec une diversité des profils tout en garantissant une cohérence des niveaux, idéalement 20 à 100 participants.
2. Aligner les objectifs : apprentissages utiles aux participants et reliés aux priorités stratégiques de l’entreprise.
3. Choisir des thématiques significatives : en lien direct avec l’activité quotidienne, puis élargir vers des enjeux stratégiques.
4. Mobiliser dès le départ : implication des dirigeants, managers, ambassadeurs et auto-inscription des participants.
5. Choisir une méthode qui favorise l’engagement actif et fait vivre des expériences participatives marquantes dès la première rencontre.
6. Structurer l’animation dans le temps : un rythme d’animation planifié (mensuel, trimestriel, annuel) pour fidéliser.
7. Partager la gouvernance : distribuer les rôles et co-créer pour responsabiliser la communauté.
8. Valoriser et pérenniser : célébrer les contributions de chacun, reconnaître les réussites et maintenir constance et qualité dans la durée.

Vous évoquez aussi dans le livre, les limites de cette méthode et notamment la « stupidité collective » : Y a-t-il plus d’inconvénients que d’avantages ? Et comment y remédier dans ce cas ?

Apprendre les uns des autres - Diane Lenne (Ed. Eyrolles)
Apprendre les uns des autres – Diane Lenne (Ed. Eyrolles)

Diane Lenne : L’apprentissage informel entre pairs n’est pas toujours bénéfique. Quand il n’est pas structuré, il peut devenir contre-productif, voire nocif.

Climat relationnel fragile

Quand la sécurité psychologique manque, les participants ont peur de s’exprimer et s’autocensurent. La pression hiérarchique ou la pression de conformité peut bloquer la parole. Certains se sentent exclus, et seuls quelques-uns prennent toujours la parole.

Qualité des échanges

Quand les conversations restent superficielles, elles ressemblent à des discussions de café. Les échanges se dispersent, ce qui entraîne une perte de temps. Sans cadre, le groupe peut même se transformer en “bureau des plaintes”, où la négativité prend le dessus sur l’apprentissage.

Dérives sociales

Un groupe non structuré peut aussi favoriser les manipulations ou les ragots, qui créent des tensions. Les comparaisons et les rapports de force renforcent une culture compétitive. Le risque est de tomber dans l’entre-soi, l’individualisme et les silos, ce qui alimente la méfiance.

Faible valeur stratégique

Il est difficile de transformer des pratiques individuelles en apprentissage collectif sans cadre clair. Les “best practices” sont souvent mal comprises. La hiérarchie ne reconnaît pas toujours ces échanges, qui peuvent alors être perçus comme secondaires ou utiles seulement à quelques-uns.

C’est pourquoi une approche structurée comme la méthode WAP est essentielle. Elle permet de transformer les communautés apprenantes en leviers stratégiques, inclusifs et durables.

La méthode WAP peut-elle aider les femmes à mieux prendre leur place et prendre la parole en réunion par exemple ?

Diane Lenne : Oui. La méthode WAP crée un cadre sûr qui favorise l’expression de toutes les voix, y compris celles qui s’effacent en réunion. Elle aide les femmes à mettre en mots leurs savoirs, à renforcer leur confiance et à s’appuyer sur l’appartenance à une communauté de pairs. Ainsi, elles progressent plus vite et prennent leur place avec plus de force.

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