Une entreprise florissante où l’on fixe soi-même le montant de son salaire et la durée de ses vacances ? C’est le pari relevé haut la main par Tiime. Entretien avec Amélie Schieber, sa cofondatrice et présidente.
Comment est né Tiime et quel est son objectif ?
Le logiciel est né il y a plus de dix ans dans un cabinet d’expertise-comptable qui s’appelait L-Expert-comptable.com. Il était destiné aux clients de ce cabinet où j’étais salariée à l’époque. J’ai constaté que c’était l’un de ses forts leviers de croissance et vu le potentiel de ce marché encore peu développé, ça valait le coup d’en faire une activité dédiée et de s’adresser à d’autres cabinets d’expertise-comptable. C’est pour ça qu’en 2015, avec trois collègues et deux autres personnes, nous avons décidé de séparer les activités d’expertise-comptable et le logiciel pour créer la société Tiime. Nous sommes repartis de zéro en nous inspirant de ce qui avait été fait. L’enjeu, c’était de simplifier la vie des entrepreneurs et de leur expert-comptable.
L’entreprise connaît un bel essor depuis dix ans (300 salariés, 21 écoles partenaires, 200 000 utilisateurs, 2000 cabinets, plusieurs millions d’euros de CA…). À quoi l’attribuez-vous ?
Jusqu’en 2019, on a surtout développé le produit et embauché essentiellement des professionnels des technologies (développeurs, data scientists, data ingénieurs, doctorants pour l’intelligence artificielle…). Ensuite, on a commercialisé. Ce qui fait que ça a fonctionné, c’est la faible concurrence à l’époque sur ces solutions dotées de nouvelles technologies à destination des entrepreneurs et pas seulement des experts-comptables. Le logiciel est complet, intuitif, facile à prendre en main, accessible sur mobile et ordinateur. Il propose une interface pour les TPE, PME et une pour le cabinet-comptable qui peut faire la production comptable de A à Z.
Vous avez été précurseurs en lançant la première IA comptable en 2017. L’innovation, c’est l’une des clés de votre succès ?
L’IA était une évidence pour nous. On avait l’expérience de la production comptable, de ce qui se passait en cabinet. On savait qu’il y avait des tâches qui étaient facilement automatisables et que plus on mettrait de l’IA plus on serait performants. Quand on investit dans ces secteurs-là, on bénéficie aussi d’aides, ce qui a facilité notre développement.
En revanche, vous n’avez pas levé de fonds. Pourquoi ?
Effectivement, pourtant nous sommes sollicités tous les jours par des fonds. Mais nous restons une boîte à taille humaine et familiale. Notre objectif, c’est d’être pérenne. Quand on lève des fonds, on perd un peu la maîtrise de la stratégie en tant que fondateurs ; on peut avoir tendance à beaucoup dépenser en espérant que ça fonctionne… et si ça ne marche pas tant pis. Nous préférons appliquer notre vision, faire des choix rationnels, pas à n’importe quel prix. Ça peut être frustrant car on n’a pas les mêmes moyens que nos concurrents mais ça fait partie de notre ADN et c’est une preuve de stabilité pour nos clients. Ils savent qu’on ne va pas faire n’importe quoi.
Tiime est labellisé Great place to work depuis 2023. Ici, les employés fixent eux-mêmes leurs salaires, ont du télétravail à volonté, des vacances illimitées… Pourquoi ce choix ?
Depuis 2017, de nombreuses start-up du secteur de la Fintech ont levé des fonds et obtenu de gros moyens. On a eu quelques difficultés à recruter et à fidéliser nos collaborateurs. Ils adoraient notre projet et notre produit mais quand une autre entreprise de la Tech leur proposait un job quasi similaire avec 10 à 20 % de salaire supplémentaire, c’était compliqué de lutter. On s’est renseignés sur d’autres philosophies et on s’est inspirés de la culture d’entreprise libérée d’Isaac Getz. On n’a pas appliqué à la lettre sa méthodologie et sa vision mais on a fait en sorte de mettre le collaborateur et son bien-être au cœur du système. C’est pour cette raison qu’on offre beaucoup de flexibilité sur le lieu de travail, les horaires, les absences, la rémunération…
Mais ça ne fonctionne que si le collaborateur n’oublie pas ni l’entreprise ni nos clients. Tout le monde n’est pas fait pour fonctionner dans notre culture d’entreprise. Fixer son salaire soi- même, ça peut être déroutant.
Comment ça marche concrètement en entretien d’embauche pour fixer son salaire ?
C’est plus ou moins bordé en fonction du parcours et de l’expérience de la personne. Nous n’arrivons pas en nous disant que nous avons tel budget pour ce poste et que nous ne pouvons pas y déroger. Si la personne demande 35K€ et qu’on avait en tête 30K€, si on a un coup de cœur pour sa candidature, on peut accepter. Les gens n’abusent pas en général car on explique que les abus remettent en cause tout notre système et peuvent avoir un impact sur la pérennité de l’entreprise.
Et pour les vacances ?
C’est variable en fonction des services. Les équipes commerciales ont peu de clients présents en août, ce n’est pas dérangeant que les salariés s’absentent en nombre à ce moment-là. Certains collaborateurs préfèrent partir hors vacances scolaires. Chaque équipe s’accorde pour que ce soit cohérent.
Il n’y a pas de chef, non plus…
Non. Ce sont plutôt des leaders en raison de leur ancienneté dans l’entreprise, de leur expertise sur un sujet, de leurs capacités à assumer des responsabilités… Mais ils sont approuvés par l’équipe. Et puis nos salariés sont formés à une méthodologie de communication basée sur la méthode Gordon qui permet de s’exprimer, de s’écouter, de confronter son point de vue tout en trouvant des terrains d’entente. Ça facilite les discussions.
Est-ce que le taux de fidélisation a augmenté chez Tiime ?
C’est difficile à mesurer car nous sommes beaucoup plus nombreux qu’au début. Mais on fait tous les dix jours des enquêtes anonymes de satisfaction auprès de nos collaborateurs et on constate que ces mesures les amènent à rester chez nous. Ça a un impact ultra positif et c’est très précieux pour nous.
Ça fait rêver les salariés mais peut effrayer les entrepreneurs. Que leur répondez-vous ?
Je comprends que ce soit effrayant. Nous-mêmes au début, pour la partie salaire, on a eu peur d’avoir des demandes déraisonnables. Je pense qu’il faut être soi-même intimement convaincu pour se lancer. Je ne force personne à aller dans ce sens-là mais, selon nous, ça fait partie intégrante de notre réussite. Chez Tiime, on était convaincus quand on l’a mise en place qu’à partir du moment où l’on mettait le collaborateur et son bien-être au centre, ça aurait un impact positif sur notre chiffre d’affaires et nos performances. On nous disait souvent que ça marchait car nous étions peu nombreux. Effectivement, ça marchait quand on était 30 mais ça marche encore maintenant que nous sommes 300.
Finalement, la taille de l’entreprise importe peu, il faut être convaincu de cette philosophie et ne pas avoir peur de mettre un cadre, des règles pour chacune de ces décisions malgré tout.
Dorothée Blancheton