Angélique Gérard : interview d’une Woman in Tech engagée !

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“Self Made Woman”, Angélique Gérard a tracé son chemin avec détermination et courage. Embauchée à 23 ans par Xavier Niel, elle est aujourd’hui à la tête de plusieurs filiales du groupe Iliad ainsi qu’à son comité exécutif. Elle soutient également l’entrepreneuriat français en tant que Business angels. Dans son livre “Pour la fin du sexisme, Le féminisme à l’ère post #metoo” (Ed Eyrolles) , elle retrace son parcours, ses combats personnels et prône un féminisme réconcilié avec les hommes de bonne volonté. Rencontre.

Vous prenez la parole aujourd’hui dans un livre dont le sous-titre est « le féminisme à l’ère post #metoo », on sent une colère chez beaucoup de femmes, pas chez vous, pourquoi ?

Angélique Gérard : Je suis profondément convaincue, dans le féminisme comme dans tous les autres domaines, que la colère qui s’exprime par l’agressivité, l’aigreur et le rejet de l’autre est contre-productive. L’émotion colère est là, et c’est normal puisqu’il y a déséquilibre, donc injustice. Mais si on veut faire avancer cette cause commune à l’ensemble de la société, il faut savoir accueillir puis transformer une émotion, qu’il est naturel de ressentir en tant qu’être humain, en énergie positive pour convaincre autour de nous et rallier à la cause avec le plus de diplomatie possible.

Ce n’est sûrement pas un exercice aisé pour tout le monde car lorsqu’on a eu une expérience traumatisante, une blessure liée à une agression sexuelle ou à un harcèlement par exemple, il faut pouvoir réussir à guérir pour passer à autre chose et avancer plus sereinement.

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Comment définiriez-vous votre féminisme ? 

Angélique Gérard : Unique. Comme tous les autres féminismes. La femme est plurielle, et le féminisme ne nous définit pas. Il y a autant de féminismes que de féministes, chacun.e avec ses choix de vie, ses principes et ses convictions. J’ai remarqué qu’il y a une tendance actuellement à jouer à celui ou celle qui sera plus féministe que l’autre ! Les gens jugent le féminisme des autres comme s’il n’y en avait qu’un. Pour moi, c’est perdre l’objectif de vue. Nous ne devons pas nous concentrer sur nos désaccords, qu’une telle soit contre l’allaitement ou la prostitution, que l’autre porte le voile, ne souhaite pas avoir d’enfant et que sa voisine en ait trop et ne travaille pas…

Le plus important c’est définitivement ce qui nous lie, le combat qui nous rapproche. Comme s’amuse à le souligner très justement l’actrice et metteuse en scène Noémie de Lattre : pour savoir si on est féministe, il suffit de répondre aux deux questions publiées sur le site Areyouafeminist.com : « Pensez-vous que tous les êtres humains sont égaux ? » et « Pensez-vous que les femmes sont des êtres humains ? » Si vous avez répondu oui deux fois, félicitations, vous êtes féministe !

Vous citez de nombreuses féministes qui ont jalonné l’histoire, quelle est celle qui vous inspire le plus et pourquoi ?

Angélique Gérard : Mon féminisme est sûrement empreint du chemin et de l’idéologie de beaucoup d’entre elles. Convaincue que la convergence des luttes constitue un point clé de l’accès à l’égalité dans notre société, si je devais n’en citer qu’une, ce serait Christiane Taubira, et ce alors que d’autres points de vue nous éloignent. C’est elle qui à mon sens est la plus ouverte et moderne des dirigeantes activistes actuelles. Elle déclarait en 2018 dans Libération : « Le combat féministe peut entraîner avec lui tous les autres combats car son essence est la revendication qu’aucune différence de traitement n’est acceptable sur la simple base d’une différence physique ou de choix de vie. Si nous nous accordons sur cette valeur de base, alors tous les autres types de discrimination tomberont.

C’est pour avoir compartimenté les combats que le mouvement féministe s’est affaibli. Ce qui peut assurer l’efficacité des luttes, c’est la possible convergence de celles-ci. » Quant à sa vision du féminisme, que je partage également, elle confiait au NouvelObs : « Le féminisme est un humanisme, ce n’est pas une guerre de tranchées. Etre impitoyable envers un comportement sexiste n’est pas faire la guerre à l’autre sexe. […] Il faut comprendre que le combat féministe n’est pas de justifier que les femmes méritent leur place au pouvoir, mais de faire appliquer leur droit inaliénable d’accéder à toutes les sphères de la société. Ce droit est entravé sans motif valable depuis bien trop longtemps […] Le débat qui doit avoir lieu aujourd’hui, c’est comment éradiquer les prétextes qui justifient ces discriminations. » 

Vous avez un parcours exceptionnel et pourtant rien n’était tracé, vous avez dû vous battre, quel est votre fil conducteur ?

Angélique Gérard : Je l’évoque effectivement dans mon livre, je pense que ma ligne de conduite n’a jamais changé et c’est ce qui m’a guidée dans mon parcours de vie. J’ai toujours été déterminée dans mes choix et engagée. Dans mes actes, mes ambitions, mais aussi dans des relations de qualité, au travail comme dans ma vie personnelle. Le fait d’avoir maintenu des relations saines sur le long terme a d’ailleurs largement contribué à renforcer ma confiance en moi. La famille et l’entourage sont déterminants pour affronter les obstacles du quotidien et conserver un esprit critique et lucide en toutes circonstances.

Mon hygiène de vie, réglée et rigoureuse, est par ailleurs marquée par le même principe. J’ai toujours pris soin de moi, aussi bien physiquement que mentalement. Et cela passe forcément pour moi par la pratique d’une activité sportive et une hygiène alimentaire stricte, ce qui me correspond et contribue à mon équilibre.

Vous êtes aujourd’hui un « role model » pour de nombreuses jeunes femmes de par votre parcours professionnel, vos actions en tant que Business Angel et mentor, quels conseils leur donnez-vous ?

Angélique Gérard : Dans ce rôle de mentor et d’accompagnatrice de projets, on se surprend à donner des conseils que l’on n’a pas toujours appliqués à soi-même, et cela permet de se remettre en question à chaque fois. Je livre beaucoup de clés dans mon ouvrage, comme celle de ne jamais perdre ses objectifs de vue, quitte à les réévaluer, les revoir en cours de route, pour toujours s’assurer de pouvoir les atteindre. Avancer, aussi, par étapes clairement identifiées, avec patience et sans avoir peur du travail et des opportunités qui s’offrent à nous, parce qu’il faut savoir déconstruire toutes les barrières mentales que les codes de la culture patriarcale ont façonné dans nos esprits sur des générations. Apprendre, enfin, à construire son assurance, au fil du temps, en osant multiplier les expériences hors de sa zone de confort.

Tabous, stéréotypes jalonnent la vie des femmes et, vous le dites, elles sont souvent leur propre ennemi, #MeToo change-t-il la donne à votre avis ?

Angélique Gérard : Le cœur de mon message est porté par l’importance de cultiver la sororité. Mon féminisme, c’est savoir cultiver des valeurs de respect entre êtres humains, travailler sur soi pour limiter au maximum les jugements que l’on peut avoir sur l’Autre. La sororité, c’est cela. Ne pas entretenir les moqueries ou les critiques sexistes dont on pourrait être témoin envers une personne, mais au contraire rompre avec ce jeu de l’humiliation issu des codes du patriarcat. #MeToo a, d’après ce que j’ai constaté autour de moi, et il me semble que cela a été assez partagé, véritablement représenté un élément déclencheur.

Les femmes ont pris conscience de la puissance de la solidarité, de l’importance de se soutenir et de former une chaîne humaine contre les violences, aussi virtuelle ait-elle été au démarrage. Les répercussions au quotidien ont été considérables. Et beaucoup de sujets liés à l’égalité ont également été remis sur la table dans les médias suite à cette déferlante historique : harcèlement de rue, plafond de verre, égalité salariale, mixité, éducation sexiste, libre-disposition de son corps, mais aussi masculinité toxique. Les discussions, dans la vraie vie aussi bien que sur les réseaux sociaux, s’animent autour de thèmes qui n’intéressaient plus grand monde et c’est extrêmement positif !

Vous parlez du numérique comme l’un des enjeux majeurs pour les femmes, la nouvelle révolution féministe ne passe t-elle pas par la conquête de ce nouveau territoire ?

Angélique Gérard : Totalement. Et le chemin est encore long quand on sait que dans la tech, une start-up avait dû par exemple inventer un co-fondateur homme pour intéresser les investisseurs ! Le numérique est LE territoire par excellence que les femmes doivent investir puisque c’est là que se construisent le monde et les métiers de demain. Il est même urgent que les algorithmes et les solutions de design tiennent aussi compte des femmes pour ne pas exclure la moitié de la population des défis de la 4e révolution industrielle ! Tout cela passe beaucoup par la multiplication des role models et un réseau fort et influent de femmes dans les métiers du digital.

Au moment où #MeToo émerge, le monde connaît un retour en force d’une vision patriarcale de la famille et de la femme avec une remise en cause d’acquis comme le droit à l’avortement, vous prônez un retour au dialogue entre hommes et femmes et un combat de tous mais est-il possible ? et de quelle manière ?

Angélique Gérard : Le phénomène de backlash, ou retour de bâton, est classique dans ce type de situation. Chaque avancée du droit des femmes a systématiquement été suivie d’un contrecoup réactionnaire. Pour cette frange de la population, le sursaut féministe, qui souhaite simplement combattre la misogynie, s’apparente à une attaque contre les valeurs masculines. Il a ainsi donné le sentiment à certains que la misandrie était encouragée. Ce n’est absolument pas le message porté par la plupart des féministes qui souhaitent la fin de toutes les idées extrémistes. Cela constituerait d’ailleurs un combat totalement contradictoire : on ne peut pas prôner l’égalité en délivrant un message contre les hommes. 

L’apaisement, l’inclusion et la diplomatie sont les clés pour rallier au maximum autour de l’égalité.

Vous redonnez tous les bénéfices de votre livre à Led By Her, une association qui œuvre pour aider les femmes victimes de violences dans leur réinsertion économique et à une association masculine, SOS Papa,  choix qui a été moins compris par certain.e.s, que leur répondez-vous ?

Angélique Gérard : Ce choix émane de cette même volonté de souligner que l’égalité est l’unique objectif du mouvement. Je pense profondément que le sexisme est un système qui s’applique différemment aux femmes et aux hommes. Même si c’est dans une moindre mesure pour les hommes, on ne peut rejeter une partie seulement des conséquences néfastes du patriarcat. C’est cet aspect humain au sens large que je défends, et je ne souhaite pas renier ou minimiser la souffrance d’un homme, car j’ai eu des exemples malheureux dans mon entourage.

L’association SOS Papa a été créée  dans un souci de justice concernant la garde alternée des enfants en cas de séparation. On en parle peu mais beaucoup d’hommes sont discriminés, toujours dans ce schéma patriarcal qui les exclut de la sphère de l’éducation. La justice n’est pas toujours impartiale à cause de ces mêmes stéréotypes qui enferment dans des conditionnements inconscients. L’association SOS Papa, qui existe depuis 30 ans, est l’objet d’une mauvaise communication due à de rares cas liés à des pères violents. Toute organisation importante, parti politique, a à un moment ou un autre des éléments incontrôlés. Les présidents successifs de SOS PAPA se sont bien sûr désolidarisés de leurs agissements.

L’amalgame avec une organisation masculiniste est vite fait et les journalistes  ont pu sauter sur l’occasion. On connaît tous le principe, les réputations se font et se défont très rapidement. Je ne me serais pas associée avec un organisme qui se revendique contre les femmes, par leurs paroles ou par leurs actes, et il n’a d’ailleurs jamais reçu aucune condamnation contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs. Leur combat a surtout toujours été celui de défendre les Droits de l’Enfant, et c’est bien ce système patriarcal tant rejeté par les féministes qui est profondément malade.

Il faut à mon sens avant tout rappeler qu’il n’existe pas un seul féminisme, et qu’on peut totalement être féministe et défendre la garde alternée. Au même titre que d’autres sujets que nous avons évoqués, il s’agit d’un point de friction entre différents courants. A partir du moment où il s’agit de revendications égalitaires, je serai là pour les défendre. Tous les pères ne sont pas violents, loin de là. Je ne suis d’ailleurs pas la première : Evelyne SULLEROT, grande féministe et co-fondatrice du Planning Familial a été la marraine de SOS PAPA jusqu’à la fin de sa vie.

Il est vrai que je ne partage pas en revanche leur point de vue sur la PMA Pour Toutes, mais je suis persuadée que cela peut justement être intéressant d’échanger dans le respect des choix et opinions de chacun.e pour faire évoluer les idées sur le sujet. Discuter de ces désaccords est pour moi la base.

Véronique Forge

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