Épuisement au travail : quand la performance devient toxique

épuisement au travail

L’épuisement au travail ne surgit pas brutalement : il s’installe, se normalisee, se mélange parfois avec l’engagement ou la performance. Dans Arrêtez de vous épuiser (Eyrolles), Matthieu Poirot met en lumière ce « burn in » discret qui précède le burn-out et interroge un modèle professionnel fondé sur le surengagement et le déni de la récupération.

Dans cet entretien, il explique les mécanismes psychologiques de l’épuisement, les charges mentales qui s’accumulent, et les raisons pour lesquelles les femmes en paient souvent le prix fort.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre maintenant ? En quoi l’épuisement que vous décrivez se distingue-t-il du burn-out tel qu’on le connaît aujourd’hui ?

Matthieu Poirot : Ce qui m’a poussé à écrire ce livre, c’est d’abord une confusion générale. On parle beaucoup de burn-out, mais peu de ce qui précède : la phase de « burn in », cet épuisement silencieux où l’on tient encore, mais de moins en moins bien.

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Avec l’augmentation du rythme de travail, les gens vivent au bord du gouffre sans s’en rendre compte. Et surtout, personne ne leur apprend la récupération mentale, alors que c’est devenu une compétence clé pour durer face aux mutations du travail ; à l’intensification du travail (augmentation de la charge mentale et émotionnelle du travail).

Pourquoi la récupération psychologique reste-t-elle, selon vous, un tabou si puissant dans le monde du travail ?

Matthieu Poirot : Le tabou de la récupération tient à une  grande confusion : on l’associe à la paresse ou au relâchement. Or, récupérer demande de la discipline. C’est l’un des piliers de la performance durable. Tous les entraîneurs savent qu’un sportif en surentraînement va voir sa performance s’effondrer.

Au travail, c’est exactement pareil. Mais on a créé le mythe du super-travailleur infatigable. C’est faux. Notre système nerveux est de plus en plus sollicité, et nous devons apprendre à mieux gérer cette pression. Par ailleurs, on confond repos et récupération. Vous pouvez être sur une plage de rêve et ne pas récupérer si vous ne déconnectez pas mentalement du travail.

Vous montrez que la performance durable repose moins sur la volonté que sur l’équilibre effort-récupération. Pourquoi ce malentendu persiste-t-il chez les dirigeants ?

Matthieu Poirot : Parfois, ils incarnent eux-mêmes le personnage du super-héros et pensent que c’est la norme. Ils ont une grosse charge de travail, mais oublient qu’ils disposent aussi de plus d’autonomie, donc de plus de marges pour mettre en place leurs propres stratégies de récupération.

Ce sont aussi souvent des personnes qui surinvestissent et projettent que chacun devrait faire de même, avec cette idée que la volonté ferait le réel. Il y a parfois un fantasme de non-limites.

Vous introduisez la notion de “dettes psychologiques”. Comment ces dettes se forment-elles et quels sont leurs effets concrets sur la santé mentale et l’engagement ?

Matthieu Poirot : Les dettes psychologiques se forment quand les personnes se surengagent dans un système toxique qui ne leur apporte ni reconnaissance ni sécurité psychologique. Plus elles s’investissent, plus elles ressentent de la frustration et développent ce sentiment que l’entreprise leur doit quelque chose pour ce déséquilibre, voire cette trahison.

Cela entraîne des ruminations mentales : « Ce n’est pas normal ce que je vis » ; qui empêchent le détachement psychologique. Les personnes épuisent leurs ressources dans un cercle vicieux : elles agissent, s’engagent, ressentent de la frustration, la dette se cristallise, elles n’arrivent plus à se détacher du travail, elles s’épuisent… et cela amplifie le mécanisme.

Les femmes sont-elles plus exposées à certaines formes d’épuisement psychologique, notamment liées au surinvestissement et à la difficulté à dire non ?

Matthieu Poirot : Oui, pour des raisons structurelles. Elles cumulent la charge mentale du travail et du foyer, ont moins de temps de récupération, et sont socialisées pour être plus perfectionnistes. Elles sont donc particulièrement exposées à ce déséquilibre effort-récupération. On pourrait d’ailleurs faire l’hypothèse que c’est l’un des facteurs expliquant leur moindre bien-être émotionnel comparé aux hommes.

Vous parlez de “zone bleue psychologique”. Qu’est-ce que cela change concrètement dans notre manière de penser la performance au travail ?

Arrêtez de vous épuiser - Matthieu Poirot (Ed.Eyrolles)
Arrêtez de vous épuiser – Matthieu Poirot (Ed.Eyrolles)

Matthieu Poirot : La « zone bleue psychologique », c’est la possibilité de reposer le corps tout en activant la récupération mentale. Si vous faites du ski, vous vous détendez, vous pensez à autre chose, mais vous épuisez aussi le corps.

Si vous êtes sur le canapé devant la télé, vous reposez le corps, mais vous ne prenez pas forcément de recul par rapport au travail. On a besoin des deux. Et cela doit changer les stratégies individuelles, managériales et organisationnelles. L’idée de ce livre est de proposer des interventions sur ces 3 niveaux.

Peut-on créer une culture de la récupération dans des environnements exigeants et compétitifs, ou est-ce encore perçu comme incompatible avec la réussite ?

Matthieu Poirot : Au contraire, c’est ce qui distingue un monde amateur d’un monde professionnel. Plus on maîtrise l’équilibre entre effort et récupération, plus on maîtrise la performance dans la durée, au niveau individuel comme collectif. Mais cela demande de mesurer cette dimension, d’acculturer l’entreprise et de mettre en place un plan d’action global de bonnes pratiques.

Si vous deviez donner un seul conseil à une femme en situation de surcharge chronique mais encore “performante”, lequel serait-ce ?

Matthieu Poirot : Instaurez au moins une journée complète en zone bleue par semaine, toujours la même. Et faites comprendre à votre entourage que vous êtes au bord du burn-out. Ce n’est pas négociable. C’est vital.

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