Fanny Letier : “la capacité à rebondir est la marque des plus grands”

Fanny Letier, la capacité à rebondir est la marque des plus grands
Alors que la crise a accéléré les transformations, il y a eu des perdants et des gagnants. Mais alors, quel est le secret de celles et ceux qui arrivent à sortir grandis de ce marasme socio-économique ? Dans son ouvrage “Carnet de rebond” pour PME et ETI (éd.Eyrolles), Fanny Letier livre de précieux conseils aux entrepreneurs issus de sa riche expérience. Interview.

Ce livre arrive en plein post-covid. Et comme vous le soulignez, les crises accélèrent les transformations. C’est donc une opportunité unique de se réinventer ?

Fanny Letier : Entreprendre, c’est prendre des risques. Mais c’est quelque chose que l’on a du mal à faire en France. C’est d’ailleurs pour cela qu’en 1984, Steve Jobs déclarait que nous avions tout pour être les numéros 1, mais que nous ne le serions jamais car nous avons trop peur d’échouer. Avec ce nouveau livre, j’ai voulu créer le jumeau de mon premier ouvrage “Carnet de croissance”. La vie d’un entrepreneur est tout sauf un long fleuve tranquille, et la capacité à rebondir est la marque des plus grands. La crise accélère les transformations déjà à l’œuvre, et ce qui compte, c’est de savoir si l’on va en ressortir avec une position de force relative, ou de faiblesse. Pour cela, j’ai envie de transmettre tout ce que les entrepreneurs m’ont appris à la BPI ou au CIRI (Comité Interministériel de Restructuration Industrielle). Entre 2009 et 2012, j’ai notamment restructuré 180 entreprises dans des domaines variés, avec 90% de succès. Ce livre ne donne pas de solutions toutes faites. Le héros de l’ouvrage, c’est avant tout l’entrepreneur.

Pourquoi avoir choisi de dédier ce livre aux PME et ETI : ce sont elles qui ont le plus souffert de la crise ?

Fanny Letier : Je viens du Nord Pas de Calais, et suis convaincue que pour donner sa place à chacun dans la société, il faut créer plus d’emploi. Or, les PME et ETI emploient 75% de la population active en France ! Je crois notamment beaucoup au modèle de l’ETI. Alors qu’elles ne sont que 5000 en france, elles ont créé 355 000 emplois entre 2009 et 2016, quand sur la même période les grands groupes en détruisaient 90 000. Lorsque j’étais à la BPI, j’ai voulu soutenir ce mouvement à travers les accélérateurs. Et c’est la même chose avec ma société d’investissement GENEO Capital Entrepreneur, cofondée en 2018 avec François Rivolier. Notre ambition : offrir une nouvelle forme de capital-investissement, le « capital entrepreneur » qui, par sa dimension long terme, son apport en capital humain et de nouveaux mécanismes de partage de la valeur, donne à chaque génération les moyens de ses ambitions. 

Vous dites que la crise a bousculé le système de pensée de l’entrepreneur. Qu’entendez-vous par là ?

Fanny Letier : Nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme sur l’objet même de l’entreprise. Cette crise est avant tout sociétale, et les confinements successifs ont démontré que le trésor d’une entreprise, c’est son capital humain. Toutes les entreprises sont désormais obligées de faire du B2C, avec le C de citoyen. Au-delà de la gestion des externalités négatives, les sociétés doivent se questionner sur la manière dont elles contribuent positivement à la société. A ce titre, je crois que les PME et ETI ont un rôle de premier plan à jouer. Contrairement aux grands groupes, elles ont la possibilité de faire preuve d’agilité à court et moyen terme. Je suis convaincue que l’avenir appartiendra aux entreprises placées sur des secteurs de niche, avec une vision très claire de leur position sociétale, et l’ambition de devenir les leaders de leur marché au niveau européen ou mondial. 

Mini Guide Entrepreneuriat
Fanny Letier, auteure de Carnet de rebond aux éditions Eyrolles

Le premier défi d’une entreprise face à la crise, c’est de résister. Quelle est donc la différence entre la résistance, et la résilience ?

Fanny Letier : La résilience, c’est la capacité à faire face à une crise. Elle dépend énormément de la qualité de la gouvernance, et de la capacité du dirigeant à bien s’entourer. Elle est intimement liée à la capacité d’anticipation de l’entreprise. Autrement dit, celle-ci doit avoir conçu des plans de secours et pouvoir réagir si la menace se matérialise. 

Si l’on n’a pas effectué ce travail d’anticipation,  il faut alors faire preuve de résistance. Le premier chapitre de mon livre indique les étapes à suivre pour instaurer une cellule de crise et s’organiser pour gagner du temps, faire rentrer un maximum de cash dans la trésorerie, et se donner la possibilité de travailler à la pose du bon diagnostic.

Toutefois, comme certains humains touchés par trop d’épreuves dans la vie, certaines entreprises ne vont pas pouvoir se relever…

Fanny Letier : Effectivement, certaines entreprises ne pourront pas s’acheter le temps nécessaire à la construction d’un plan de rebond. Il existe alors des mesures de protection qui passent par les tribunaux de commerce, comme la transmission de l’entreprise. Le livre rassemble l’ensemble des contacts utiles face à cette situation de crise.

Pour celles qui auront résisté, la seconde étape de votre programme consiste à établir un diagnostic de l’entreprise. Pourquoi cette prise de recul est fondamentale ? 

Fanny Letier : Car il ne faut pas s’arrêter au facteur immédiat de la crise. Par exemple, avec le Covid, les entreprises qui ont le mieux géré sont celles qui avaient déjà digitalisé leurs process, étaient capables de communiquer à distance, et bénéficiaient de la confiance de leurs clients, partenaires ou encore de leurs banques. Cette prise de recul est essentielle pour voir au-delà des facteurs immédiats, et analyser les facteurs aggravants.

Une prise de recul également personnelle de l’entrepreneur qui ne doit pas oublier sa santé mentale ?

Fanny Letier : C’est un sujet dont on parle trop peu ! Certes, il était essentiel de prendre en charge la détresse psychologique des salariés, mais beaucoup de chefs d’entreprise ont tendance à s’oublier, et je l’ai observé quand j’étais au CIRI. Je crois qu’il faut donc faire le point sur sa santé physique et mentale, à commencer par s’assurer que l’on dort suffisament. Les dirigeants souffrent souvent du syndrome du super-héros, et absorbent le stress de leurs salariés, clients, fournisseurs, investisseurs. Mais c’est illusoire de penser qu’un seul homme/femme peut y arriver. Il est urgent de dépersonnaliser les problèmes. Les réponses ne vont pas forcément venir du dirigeant. Charge à lui d’organiser le collectif pour réaliser le bon diagnostic et construire avec tous le bon plan de rebond.

Justement, la troisième étape de votre programme, que vous nommez la coconstruction, nécessite de recourir à l’intelligence collective. Un terme un peu galvaudé, notamment dans les grandes entreprises. Qu’est ce que cela veut dire concrètement à l’échelle d’une PME ?

Fanny Letier : Andrew Carnegie a inventé la notion de cerveau collectif. Il expliquait que le plus important, c’était simplement de construire autour de soi une équipe attachée à l’entreprise. Une équipe aux profils et compétences variés, ce qui évite les angles morts. Par exemple, la bonne idée pour changer un procédé industriel peut émaner d’un ouvrier qui est concerné en premier lieu, et inversement sur d’autres thèmes.

La dernière étape de votre carnet de rebond consiste à exécuter le nouveau scenario. Une fois encore, c’est le capital humain de l’entreprise qui va faire la différence ?

Fanny Letier : Oui, et le sujet, c’est la mobilisation du capital humain. Cela suppose d’écouter, de prendre en considération les idées, d’en retenir et d’en écarter d’autres. On rebondit sur l’avenir grâce à l’existant. Tout comme l’entreprise, le/la salarié.e a également besoin qu’on superpose les temps. Le court terme, le moyen terme, et le long terme. La vision d’avenir est indispensable pour donner du sens à l’entreprise, attirer les talents et donner envie à ceux qui sont présents de contribuer à cet effort de rebond. C’est ainsi que l’entreprise est propulsée vers l’avenir. 

En conclusion, vous citez les 5 qualités indispensables à l’entrepreneur : quelles sont-elles ?

Fanny Letier :

  1. Le discernement, car en temps de crise on peut vite perdre en lucidité, et sombrer dans un excès d’optimisme ou l’inverse. Cela passe donc par l’écoute.
  2. La détermination. C’est la marque des grands leaders. Garder en tête le cap, la ligne d’arrivée sur le long terme, et ne surtout pas faire la girouette, car c’est très déstabilisant pour les équipes. 
  3. L’ouverture. On a beaucoup parlé de capital humain, mais c’est aussi l’ouverture aux parties prenantes. L’entreprise se positionne sur une chaîne de valeur (clients, fournisseurs…), et si on s’en sort, c’est tous ensemble. 
  4. La communication. C’est extrêmement difficile car il s’agit de peser chaque mot, de ne prendre la parole que sur ce que l’on a analysé et maîtrisé. Tout cela en demeurant en empathie et totalement transparent.
  5. La sérénité, soit la gestion des émotions. On ne demande pas aux chefs d’avoir réponse à tout. Quand ils sont sereins, il est bien sûr de leur responsabilité d’insuffler la bonne énergie. Mais à l’inverse, de prendre soin d’eux quand c’est nécessaire pour revenir plus en forme. 

 

Paulina Jonquères d’Oriola

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