Sophie Muffang : « Femmes, voyez l’entreprise comme un terrain de jeu » 

Sophie Muffang

Dans son dernier ouvrage « Femmes, osons pour réussir », la coach Sophie Muffang nous apprend à poser des limites dans notre environnement professionnel pour y évoluer plus rapidement. Interview.

Est-ce que les femmes sont plus sujettes à se faire ‘’avoir’’ en entreprise ?

Femmes : osons pour réussir !
Femmes : osons pour réussir ! – Sophie Muffang (ed Vuibert)

Sophie Muffang : Je trouve le terme un peu fort et un peu dévalorisant. En revanche, il est vrai qu’elles ont une méconnaissance des règles du jeu de l’entreprise. Elles ont plus de difficultés à évoluer et se positionner, ce qui explique ce double plafond de verre qu’elles ont du mal à briser alors que cela fait un moment qu’on en parle. Et cela commence par le premier job : environ 60% des hommes négocient leur premier salaire, contre 10% des femmes. Cela génère un écart qui va se creuser au fil de la carrière. Parce qu’elles manquent d’audace, les femmes se mettent en défaut.

Pourquoi pensez-vous que les femmes se voient « plus petites » qu’elles ne le sont vraiment ?

Sophie Muffang :Moi qui accompagne des hommes et des femmes je me suis aperçue que globalement ces dernières ont un peu moins confiance en elles. Elles ont besoin du feedback de l’autre. Pour moi, cela s’explique par un héritage millénaire qui est inscrit dans les gènes. Les hommes sont depuis la nuit des temps sur le devant de la scène, et les femmes ont appris à être plus humbles. Ce n’est que depuis 1965 que les femmes peuvent travailler sans l’autorisation de leur mari.

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Et encore, pas dans tous les pays ! Il y a aussi le poids de l’éducation. On apprend davantage aux filles à créer du lien, alors que les garçons sont plus sollicités pour faire du sport, être dans le challenge. Ils sont plus dans une dynamique de confiance, ils repoussent leurs limites et prennent plus de risques. Si on regarde le pourcentage des licenciés dans les clubs de sport : 63% sont des hommes, et 37% sont des femmes. Cela montre que cela perdure aussi à l’âge adulte. Et c’est valable dans les entreprises qui sont comme des ères de jeux.

Effectivement, vous dîtes que pour s’en sortir mieux, les femmes doivent voir l’entreprise comme un terrain de jeu ?

Sophie Muffang : Les hommes envisagent l’entreprise plus sous l’angle de la compétition alors que les femmes prennent les choses plus personnellement. Si l’homme essuie un non pour une augmentation, il ne va pas le prendre comme définitif contrairement à la femme qui n’aura pas l’audace de recommencer à demander, elle aura l’impression que ce non est rédhibitoire. Pour ma part, j’aime la phrase de Mandela : « je n’échoue jamais, soit j’apprends, soit je gagne ». Un non, c’est une expérience sur laquelle on peut capitaliser pour que la fois d’après ce soit un oui.

 

Cela est difficile pour les femmes car elles mettent trop d’affect dans leurs relations au travail ?

Sophie Muffang : Je crois que c’est vrai, les femmes mettent effectivement plus d’affect au travail car elles sont plus dans la relation. Une richesse à garder et à développer, car on observe que les comex les plus performants sont ceux où il y a plus de femmes. Par contre, là où cela a un effet néfaste, c’est que sous couvert de ne pas décevoir, d’être aimée, les femmes ont du mal à poser les limites ou à formuler leur demande de manière claire et directe. Hors, ce n’est pas parce que l’on va poser des limites qu’on ne va plus être aimée. Il faut prendre des distances pour rester dans le factuel et remettre les choses en perspectives. Si l’on a plus conscience de ses compétences, son expertise et son expérience, on est plus sûr de soi et moins dans l’affect.

Est-ce donc par peur d’essuyer un refus que les femmes n’osent même pas formuler de demande (salaire, changement de poste… ?)

Sophie Muffang : Il peut il y avoir la peur d’essuyer un refus, mais il y a aussi une autre dimension : c’est que les femmes souffrent du syndrome de la bonne élève. Dès leur plus jeune âge, elles ont compris qu’en travaillant, en obtenant de bonne notes, elles faisaient plaisir à leurs parents. Si bien qu’elles peuvent penser que ce système perdure en entreprise. Que si elles travaillent bien, cela va se voir et qu’elles pourront avoir la promotion qu’elles auraient obtenue si elles étaient à l’école.

Il faut qu’elles arrivent à comprendre que l’une des règles en entreprise, c’est de faire savoir qu’on a envie d’évoluer, qu’on désire une augmentation. Les managers me disent que si on ne leur demande rien, ils imaginent que les employés sont satisfaits de leur sort. Et la priorité ira à ceux qui demandent. Il est rare qu’un n+1 négocie pour vous une augmentation si vous ne la demandez pas.

Pour apprendre à formuler une demande, vous nous conseillez finalement de ne pas y aller par quatre chemins ?

Sophie Muffang : La clarté, c’est quand même ce qu’il y a de plus simple. Mais il faut argumenter, se positionner, choisir le bon moment. C’est comme une course de fond, il faut un travail de préparation. Il faut être convaincu par sa propre demande.  Attention toutefois à ne pas revendiquer ou être agressif. Parfois, on est frustré, et la colère intériorisée, ce n’est pas bon.

Pour cela, il faut apprendre à se sentir pleinement légitime dans son travail ?

Sophie Muffang : C’est vrai que cette légitimité est liée à la confiance. Et les femmes souffrent souvent du syndrome de l’imposteur. Par exemple, les hommes postulent à un job quand ils ont 40% des compétences, alors que les femmes hésitent quand elles en ont 80%. Elles regardent les choses qui ne vont pas au lieu de voir les grandes choses qui vont bien.

Pour s’accorder de la valeur, il faut savoir se poser, prendre des rendez-vous avec soi-même pour faire le bilan de son expérience, de ses passions, talents, lignes de force. Cela permet de prendre conscience de notre TDA (Totalement Différent des Autres). Il faut aussi être capable de se complimenter sur ce que l’on a réussi. Et puis il y a la gratitude : se dire trois petits merci sur des petites choses du quotidien qui ont égayé notre journée.

Cette tendance à mettre de l’affect partout, est-ce aussi ce qui empêche les femmes de dire non ?

Sophie Muffang : Je constate que les femmes se mettent énormément de pression pour être parfaites. Elles doivent s’occuper de leur job, leurs enfants, puis des parents. Il est vrai qu’il est important qu’elles arrivent à poser des limites pour sécuriser une zone où elles vont se sentir fortes et en sécurité. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde et rester juste dans l’affect. En coaching, on évalue sur une échelle de 1 à 10 l’inconfort ressenti dû au fait de ne pas avoir dit non. Tant que c’est en dessous de 5, cela peut être géré, mais on travaille dessus si cela devient handicapant, qu’on y pense de manière régulière. On paie tôt ou tard le prix lorsque l’on fait les choses à contre-cœur.

Savoir dire non, ce n’est pas ne plus jamais donner un coup de main, mais simplement ne pas faire le travail à la place de l’autre ?

Sophie Muffang : Oui, pour cela, j’utilise la matrice d’Eisenhower : ce qui est urgent et important, on le fait soi-même en priorité. Ce qui est non urgent et non important, on l’annule. Ce qui est urgent et non important, on le délègue.  Et enfin ce qui est non urgent et important, on le planifie. Si l’on se met dans toutes les cases, on finit par s’exposer à un burnout. Déléguer, cela semble difficile au départ car cela prend du temps et de l’énergie. Mais une fois la passation faite, c’est un gain de temps énorme.

Ne pas se laisser absorber par l’entreprise, c’est aussi savoir prendre du temps pour soi : quels seraient vos conseils pour que chacune s’accorde du temps « sans culpabiliser » ?

Sophie Muffang : Mon premier message, c’est que nous avons chacune de la valeur, prendre du temps pour soi, c’est montrer qu’on a conscience de cette valeur. Nous avons tendance à être les piliers qui permettent à l’édifice de tenir. C’est ce que l’illustratrice Emma a bien démontré dans sa BD sur la charge mentale. Même si l’on délègue par exemple un rendez-vous chez le pédiatre au papa, on aura toujours ce rendez-vous dans la tête. Si l’on ne veut pas arriver à une trop grosse surcharge, il ne faut pas se négliger.

Cela passe par exercer une passion, faire du sport etc. Il faut aussi savoir déléguer, que soit au niveau pro ou perso : on peut déléguer ce que l’on n’aime pas, ce qui nous prend de l’énergie et nous crispe, ou déléguer ce qu’on fait mal ou ne sait pas faire. On aura ainsi du temps de qualité pour son entourage. Dans le travail, on sera plus à l’écoute, et plus performant.

@Paojdo

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