Pour un féminisme éclairé, le point de vue de Laura Lesueur

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Inclusif et divers. Rassembleur et dans la nuance. C’est la grille de lecture du féminisme que promeut Laura Lesueur : « un féminisme éclairé ». Conférencière et cheffe d’entreprise, elle vient de publier le Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé. Elle nous explique comment se conjugue ensemble leadership et féminisme.

Qu’entendez-vous par « féminisme éclairé » ?

Laura Lesueur : Le féminisme n’a pas encore le leadership qu’il devrait avoir aujourd’hui. En effet, seuls 47% des Français considèrent que le mot féminisme évoque quelque chose de plutôt positif (sondage BVA pour Wondher et RTL Girls – 03.03.2019). Nous devrions davantage nous orienter vers un féminisme qui entend construire, en promouvant épanouissement et responsabilité.

Quels sont alors ces piliers ?

Le féminisme éclairé est à la fois réconciliateur, inclusif et constructif. Il réconcilie, tout d’abord. Ce féminisme sort, en effet, de l’opposition systématique, binaire et simpliste : les hommes contre les femmes. Dans un monde complexe et pluriel, nous ne pouvons pas avoir une pensée binaire. Pour donner du sens, partons de ce qui nous unit. Ainsi, un leader rassemble autour d’une vision commune qui est réconciliatrice. Le féminisme éclairé est aussi inclusif. Les femmes n’ont pas le monopole du féminisme. Nous avons besoin des hommes pour faire avancer la cause des femmes. Les hommes y ont aussi tout intérêt à s’y impliquer. Ils ont une mère, une conjointe, une fille, des amies ; cela les concerne aussi.

Mini Guide Leader

Quand on pense à la place des femmes dans la société, cela rebat les cartes pour les hommes également. Décidons d’en faire des alliés ! Il est aussi constructif. Ce féminisme promeut de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes et entre les femmes. En effet, les obstacles rencontrés par les femmes viennent parfois davantage de la part d’autres femmes que des hommes. Il faut aussi construire de nouveaux rapports à soi-même. C’est dépasser l’autocensure et l’autodénigrement.

Vous avez créé le podcast « Legend Ladies » qui met en lumière l’ambition féminine. Quelle place prend alors l’ambition dans votre appréhension du féminisme éclairé ?

J’ai constaté que la perception de l’ambition est différente selon qu’on parle d’un homme ou d’une femme. Avec ce podcast, j’ai voulu questionner l’ambition sous un regard féminin. Mais pas uniquement. J’interroge aussi des hommes qui réfléchissent au sujet du féminisme ou du leadership et parfois des deux comme bien sûr Gérald Karsenti. Pour moi, il s’agit d’avoir le courage d’oser se réaliser. Quoi qu’on fasse. C’est d’abord un moteur qui nous permet d’avancer vers nos ambitions personnelles. L’ambition est plurielle. Elle peut être appropriée par chacun.

Vous évoquez, dans votre livre, l’environnement professionnel où la performance est « érigée en valeur absolue » …

Même si heureusement, il y a des évolutions, c’est l’occasion de se questionner sur les valeurs que nous portons en tant que société. Si nous mettons en avant la performance et la verticalité, ce sera difficile de voir émerger un leadership plus inclusif.

De quelle manière le féminisme éclairé valorise-t-il la pluralité ?

Dans un mode de plus en plus ouvert et interdépendant, nous devons nous attacher à nous nourrir de nos différences. C’est le point de départ de l’innovation. Quand la pensée est unique, cela devient sclérosant car nos filtres sont identiques. J’ai ma singularité mais je ne peux pas faire l’économie de ne pas m’enrichir d’autres singularités.

En quoi le féminisme éclairé est-il un atout pour le leader ?

Quand nous sommes dans une posture de réconciliation, d’inclusion et de construction, nous avons un œil beaucoup plus ouvert. Un leader  défriche et va dans des territoires peu explorés. Un féminisme éclairé peut faire émerger plus de leadership. Il se nourrit de pensées différentes. La démission de la Première ministre de Nouvelle-Zélande Jacinda Ardren m’a marquée. On peut assumer d’avoir des postures différentes. On peut être vulnérable et responsable. Plutôt que de faire une course au pouvoir, cette responsable politique montre l’idée du : « je ne peux plus et je ne veux plus ». Elle manifeste aussi une responsabilité par rapport à la fonction. C’est d’ailleurs, l’une des caractéristiques du leader.

Vous écrivez que le féminisme éclairé est aussi une nouvelle voie pour « plus de richesses (humaines comme économiques) ». De quelle manière ?

@Arbes

Nous avons besoin d’avoir des entreprises qui fonctionnent mais cela ne suffit plus. Si nous négligeons l’aspect humain, la croissance ne suivra plus. Nous ne le mettons pas assez en avant, pourtant, le premier capital de l’entreprise est bien l’humain. D’ailleurs, le leader a cette capacite à aider les autres à se développer.

Comment le féminisme éclairé peut-il faire émerger une vraie sororité, qui ne soit pas qu’un concept ?

Ce n’est pas encore l’effectivité que nous pourrions attendre. Il est important de comprendre le plus tôt possible, l’importance de s’élever, de faire grandir les autres et de grandir soi-même. On y arrive lorsqu’on a trouvé le noyau dur de sa propre singularité ; quand on a touché à ce qui nous définit en tant que femme. Il faut faire vraiment faire advenir la sororité.

Investie en matière d’égalité femmes-hommes, vous insistez sur l’importance de négocier une bonne posture. Comment y arriver ?

En mimant des codes masculins, nous avons tendance à effacer notre singularité. Quand j’étais en entreprise, des femmes intervenaient pour prendre la parole en réunion. Leurs propos débutaient souvent ainsi : « excusez-moi j’ai juste une petite question ». Alors que la réflexion n’a pas été encore proposée, elle est déjà minimisée. Si l’on choisit de dire : « j’ai une remarque » ou bien « j’ai une question », la posture change vis-à-vis de soi-même et des autres.

Comment s’autoriser à davantage oser pour s’affirmer ?

De nombreuses femmes attendent pour se sentir légitime. Or, c’est en osant qu’on devient légitime. La légitimité repose sur la connaissance et aussi sur l’expérience. C’est se dire : « au moins, j’essaie ». En osant, en étant dans l’action, on trouve des réponses.

En quoi le féminisme éclairé invite à affirmer sans détour son leadership ?

Le féminisme éclairé est un féminisme de solution. C’est se montrer responsable de sa propre vie. Si on est dans une posture attentiste, on se coupe d’opportunités. Les femmes sont actrices de leur propre vie. Cela peut être plus risqué, mais c’est ainsi qu’on obtient le plus !

Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé, Laura Lesueur

(Ed. Le cherche midi, 2023)

 

Mathilde Aubinaud

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