Regards croisés : “La mixité est une chance pour les hommes”

La mixité

Rencontre avec Marie-Christine Mahéas* et Jérôme Ballarin** à l’occasion de la sortie du livre “Mixité, quand les hommes s’engagent”, paru aux éditions Eyrolles.

Pourquoi est-il si important selon vous que la mixité ne soit pas qu’une « affaire de femmes » ?

Jérôme Ballarin : Les choses ne bougeront pas si les hommes ne s’impliquent pas car ce sont eux qui sont aux manettes (89% des dirigeants européens sont des hommes, ndlr). Par ailleurs, la mixité est également une chance pour les hommes. S’il y a 30 ans, réussir au masculin était synonyme de réussite professionnelle, et réussir au féminin synonyme de réussite familiale, aujourd’hui, que l’on soit un homme ou une femme, on a envie de pouvoir s’investir dans la pluralité des sphères : professionnelle, mais aussi familiale, sportive, spirituelle…

Les réseaux 100% féminins sont-ils donc dépassés ?

Marie-Christine Mahéas : Ma vision, qui est strictement personnelle, est que les réseaux féminins ont été de formidables outils de coaching et de formation, et des leviers indispensables de sensibilisation des femmes à leurs propres freins (rapport à l’argent, l’autorité, prise de conscience de leur potentiel…). Mais je pense que ces réseaux n’ont d’autre choix que de s’ouvrir aux hommes. Cela n’empêche pas que certains sujets soient discutés entre femmes ou hommes. Je pense que les réseaux aujourd’hui doivent être avant tout orientés business, car la mixité est d’abord une question de performance. Sans vouloir faire de démagogie, il est important selon moi d’ouvrir le dialogue pour éviter les crispations qui peuvent monter chez les hommes, et de manière justifiée.

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Pour recueillir l’adhésion des hommes, vous insistez effectivement sur les effets vertueux de la présence des femmes dans l’entreprise. Qu’est-ce que ces dernières apportent de plus ?

Marie-Christine Mahéas : Les femmes n’ont pas de qualités supérieures. C’est tout simplement le mélange des sexes qui est un levier de performance, d’innovation, de séduction auprès des jeunes générations. On sait également que la présence des femmes a un aspect positif sur l’ambiance dans les entreprises. Vis-à-vis des clients, c’est également très important. Sachant que les femmes sont bien souvent à l’origine des décisions d’achat dans l’automobile, Carlos Ghosn a par exemple pris la décision d’imposer un quota de 50% de femmes dans la force commerciale de son groupe.

Vous ne devez donc pas aimer l’expression « leadership au féminin » ? 

Marie-Christine Mahéas : Effectivement ! Le manager de demain selon moi est tout simplement celui qui saura gérer des équipes mixtes.

Vous constatez dans cet ouvrage que malgré de larges campagnes de communication sur la mixité en entreprise, les choses stagnent. Croyez-vous en la contrainte réglementaire ?

Marie-Christine Mahéas : La loi Coppé-Zimmermann a eu un effet spectaculaire sur la présence des femmes dans les conseils d’administration. Le problème est que cela n’a eu aucun effet sur le reste du monde du business, comme la présence des femmes dans les Comex ou à la tête des sociétés du CAC40 ou SBF120. Le raisonnement par objectifs est nécessaire mais la contrainte législative n’est pas suffisante. Il faut passer par une phase de conviction maintenant, c’est tout l’objet de ce livre !

Jérôme Ballarin : La contrainte réglementaire n’est effectivement pas une mauvaise chose dans des périodes transitoires. Mais il faut également changer les représentations mentales, lutter contre les stéréotypes, et mener des actions en faveur d’une meilleure conciliation entre la vie privée et professionnelle.

Parmi ces actions concrètes, vous évoquez notamment la lutte contre le présentéisme ?

Jérôme Ballarin : En France, partir après 19H est un signe de motivation, ce qui pénalise énormément les femmes qui prennent largement en charge l’éducation des enfants. A 18H, elles commencent une nouvelle journée, tandis que les hommes peuvent continuer à réseauter de manière informelle. Il faut selon moi passer de la culture de la présence à la culture de l’efficacité : dans les pays anglo-saxons, partir tard est effectivement un signe d’inefficacité, et on ne peut pas dire que les entreprises américaines ne sont pas performantes.

Quelles sont les pistes à explorer selon vous dans ce domaine ?

Jérôme Ballarin : Il faut selon moi former les managers d’équipe au respect de la vie personnelle des collaborateurs. Avec Najat Vallaud-Belkacem, nous avons mis en place une charte de 15 engagements aujourd’hui signée par 50 entreprises qui donnent des pistes : éviter d’envoyer des mails le soir ou le week-end, ne pas organiser de réunions très tôt le matin ou tard le soir, établir des délais réalistes pour les projets. Je suis également pour le développement du télétravail, des conciergeries d’entreprise, la conduite d’un entretien pré et post congé maternité…

Mixité, quand les hommes s'engagent Vous voulez vraiment faire passer cette idée que la mixité en entreprise est une vraie chance pour les hommes…

Jérôme Ballarin : Oui ! Un jeune homme doit être attentif à cela dans le choix de sa première entreprise : une société qui veille à la mixité aura généralement une bonne politique RH. Plus tard, quand le salarié sera papa, si son entreprise se préoccupe des questions de parentalité, il pourra lui-aussi profiter du système de crèches d’entreprise par exemple. Plus généralement, une entreprise qui s’occupe des femmes s’occupe de l’ensemble de ses salariés.

La mixité implique donc des changements profonds, par delà la simple présence des femmes. Il faut plus généralement agir sur la culture d’entreprise, encore trop dominée par les valeurs dites masculines ?

Marie-Christine Mahéas : Oui, c’est l’analyse d’une excellente enquête McKinsey présentée dans le livre. Le culte du chef, les horaires des réunions… ces valeurs «viriles » posent des difficultés aux femmes. La mixité peut permettre aux hommes de bénéficier justement d’un mieux-être au sein de l’entreprise. Après, l’argument qu’entendent le plus les patrons reste l’argument de la performance commerciale.

Que dîtes-vous aux hommes qui peuvent craindre que leur « virilité » soit mise à mal à la faveur de la mixité ?

Jérôme Ballarin : Personnellement, je ne place pas ma virilité là-dedans ! Je suis davantage dans une quête du bonheur. Pour moi la question fondamentale est : qu’est-ce que réussir sa vie ? Est-ce la vision virile héritée des générations précédentes, ou se forger un projet personnel, d’épanouissement à tous les niveaux ? S’il peut y avoir des freins chez les hommes, ces derniers se trouvent davantage dans les politiques RH de discrimination positive à l’égard des femmes quand cela les touche personnellement. Certains hommes regrettent, voire s’agacent, que des postes qui auraient pu leur convenir aient été pris par des femmes. Il faut leur en parler sans tabous, et leur expliquer que ce mouvement est nécessaire, et leur offrir des contreparties pour les rassurer.

Malgré tout, la majorité des hommes sont prêts à s’engager sur le terrain de la mixité, mais vous expliquez dans l’ouvrage qu’ils n’ont pas forcément les bons outils pour le faire ?

Marie-Christine Mahéas : Les hommes sont intéressés par cette problématique, mais ils ont souvent peur de prendre la parole et de dire des bêtises. Ils peuvent également avoir peur de perdre leur statut par rapport à leurs pairs. On constate une réelle méconnaissance des hommes sur le sujet. C’est pour cela que nous avons voulu créer une boîte à outils avec ce livre afin qu’ils aient les bons éléments pour s’exprimer et engager leurs équipes. Les rôles modèles de patrons qui se sont investis sur le terrain de la mixité sont très inspirants pour les hommes, c’est également pour cela que nous leur avons laissé la parole à la fin de l’ouvrage.

Jérôme Ballarin : Je pense également que cette méconnaissance vient du fait que l’on a voulu mobiliser les hommes pendant des décennies avec une forme de culpabilisation. Il y a aussi le politiquement correct qui voudrait qu’un homme moderne soit forcément pour l’égalité. Mais ce sont des leviers de motivation à courte portée.

Quelles sont enfin les autres pistes que vous évoquez pour faire avancer les choses ?

Marie-Christine Mahéas : Ce qui fonctionne le mieux pour engager les hommes, c’est la sensibilisation massive aux biais décisionnels, dans toute l’entreprise. Une fois que l’on a identifié les freins chez les hommes comme la peur, l’indifférence ou l’apathie, il faut leur apporter des solutions, leur fournir par exemple des éléments de langage pour bien s’exprimer, leur donner l’occasion de commencer à en parler devant des petits groupes. Du côté des femmes, il faut rendre les hommes acteurs, leur montrer que la mixité est bénéfique pour le business. Avec ce livre, nous voulons initier un mouvement !

*Marie-Christine Mahéas est Coordinatrice du think tank « Entreprenariat au féminin » de PlaNet Finance et fondatrice du prix « Entrepreneure Responsable PWN ».

**Jérôme Ballarin est Fondateur de 1762 Consultants et Président de l’Observatoire de l’Equilibre des Temps et de la Parentalité.

@Paojdo

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