Nombre de prises de positions, articles et débats fleurissent à propos des effets de la féminisation des Conseils d’administration et de surveillance (CA), chiffres à la clé démontrant la progression fulgurante, liée à l’effet de levier de la loi Copé-Zimmerman.On s’interroge moins souvent sur les conséquences potentielles de cette mixité, ni par ailleurs sur le périmètre d’efficacité de la loi. Creuser ces 2 thèmes, avec l’objectif d’une première approche à compléter ultérieurement est l’objectif de cet article en mode «warning» et «to do».
La Mixité, pourquoi faire ? Une amélioration constatée de la gouvernance
À partir de l’étude « Femmes, pouvoir et bonne gouvernance: modèle à créer », quelques paradigmes ont été identifiés autour de la perspective « idéalisée » de la gouvernance que des candidates à des mandats ou exerçant des mandats depuis peu expriment. Les dirigeants en témoignent, des femmes dans les CA apportent souvent un œil neuf et une professionnalisation de la démarche. Plus récentes, donc plus indépendantes des décisions passées, elles sont plus authentiques et très sérieuses dans leur approche; s’ensuit une VA réelle. Cinq paradigmes peuvent résumer cette valeur ajoutée :
- L’attirance d’un pouvoir pour « faire » plutôt qu’à exercer sur (potentia/potestas) donc un désintérêt pour les jeux de pouvoir et une capacité spécifique de médiation au sein du CA (Serge Weinberg évoque l’ambiance apaisée du CS de Sanofi Aventis)
- Un pouvoir exercé collectivement, donc un CA vécu comme une équipe avec le sens de la valeur du collectif et de l’écoute
- L’exigence du respect de l’éthique (tolérance 0 aux petits arrangements) et une quête de l’exemplarité
- Une sensibilité forte à l’intérêt de CA plus diversifiés
- Un complexe de l’imposteur qui les amène à se rassurer à partir de leurs compétences donc à se former et à préparer à fonds les dossiers.
Femmes administratrices, une marche vers la professionnalisation du CA et des Administrateurs
Ainsi, dans la vision des femmes appelées à exercer un mandat, l’administrateur(e) doit connaitre le terrain/ le secteur ; apporter une expertise, une capacité à appréhender les sujets complexes et transversaux. Si le contrôle de la mise en œuvre de la stratégie est primordial, intégrer une « vision de long terme », travailler avec l’écosystème et penser à la motivation des salariés, capital humain, est également incontournable. Dès lors, elles se forment et raisonnent compétences…
La mixité impulsée par la politique publique crée ainsi, pour le dirigeant une opportunité de professionnaliser l’équipe du CA, de l’évaluer, d’en faire un conseil expert plutôt qu’une chambre d’enregistrement. Et si l’indépendance d’esprit de l’administrateurE, qualité requise dans les codes de gouvernance, se heurte parfois au désir de contrôle du dirigeant, c’est une saine évolution de la gouvernance, car le moteur de pouvoir passe à la main au profit de celui de la responsabilité, tandis que la valeur de l’exemple relaie le discours.
Or, en deçà du SBF 120, la féminisation des conseils, reste à construire
Le rapport du Haut conseil à l’Egalité du 11 février a confirmé qu’en dehors du périmètre visible du SBF120, où l’on atteint 32,3% après les nominations des AG 2015, le retard est patent. L’étude menée avec Karima Bouaiss sur l’application de la loi dans les autres entreprises concernées, établit une moyenne de 15,5% qui chute à 14,2% pour les non cotées ; en outre, 46% des SA non cotées ne font siéger aucune femme. On est loin du compte! Or, notre étude établit après quelques autres un lien entre mixité et performance : les 9% des sociétés qui font siéger 40% de femmes dans leur conseil ont une rentabilité financière (ROE) de plus de 20% contre 15,2% pour les sociétés n’ayant aucune femme dans leurs conseils
Quel est le problème ? L’absence d’un marché structuré contrairement au RU, par exemple !!
Quel est l’obstacle ? Il est double : une certaine résistance au changement et un marché non structuré, faute de valorisation des mandats. Les dirigeants ne sont pas obtus mais démunis, car la cooptation doit céder le pas à une sélection professionnelle de candidatures. Or, ce marché n’en est pas un en France, il n’est pas monétisable. Avec un montant moyen annuel des jetons hors SBF120 de l’ordre de 10 800E et, dans une proportion encore importante égal à 0i, il est inévitable que les professionnels de la chasse de tête investissent peu le terrain.
Lorsqu’ils le font cela ne concerne que quelques ETI et grosse PME de famille qu’ils conseillent sur leur gouvernance (par exemple sur la succession) ; la recherche d’un mandat étant en un service annexe non rentable. Tout autre modèle évoqué relève du « miroir aux alouettes ». Cela ouvre d’ailleurs le débat sur la non valorisation de la mission d’administrateur en France, sujet à aborder ultérieurement.
Féminisation des conseils : poursuivons le mouvement !
Ma conviction, de plus en plus partagée est qu’il revient aux réseaux professionnels de se mobiliser bénévolement afin de débloquer le verrou en « créant des liens » entre candidates et entreprises pour rénover la logique de réseau, en mode pro bono.
Sensibiliser les dirigeants à l’opportunité que la mixité représente pour diversifier les talents du Conseil puis faciliter la mise en relation entreprises/ candidates est le rôle des réseaux féminins d’administratrices, notamment rassemblés au sein de la Fédération des Femmes Administrateurs. Avec Women ESSEC, le Mouvement « Carrefours des Mandats » est lancé en partenariat avec BPI France, le Medef, Femmes de l’Economie, FCE, etc. Des CCI mobilisent leur écosystème à échelle des régions dans les 18 mois à venir.
La professionnalisation des CA est un sujet sérieux et de longue haleine, il intervient pas à pas face à une prise de conscience de l’intérêt d’un CA pour sortir le dirigeant de son isolement, appréhender au mieux les risques et adopter la bonne stratégie. Les mentalités changent et dans un contexte porteur d’une gouvernance professionnelle et efficace, les femmes ont un rôle à jouer. Diversité des parcours avec davantage de profils marketing, communication, RSE ou juriste mais aussi diversité de manière de penser et de réagir.
Cette évolution vers une gouvernance plus inclusive et experte repose donc sur deux piliers complémentaires : la féminisation des conseils et la professionnalisation des administrateurs. Il ne s’agit pas d’opposer ces dynamiques, mais bien de les articuler pour renforcer collectivement la qualité des décisions prises au sein des entreprises.
Viviane de Beaufort
Vous aimerez aussi :
Féminisation des conseils d’administration : et après les quotas, que fait-on ?
Actionnariat : le pouvoir économique doit se conjuger au féminin
Différences de revenus au sein du couple et risque de séparation