Féminisation des conseils d’administration : et après les quotas, que fait-on ?

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Depuis plus d’une décennie, les avancées législatives en matière d’égalité professionnelle, telles que les lois Copé-Zimmermann et Rixain, ont permis de franchir des caps décisifs dans la féminisation des conseils d’administration et des instances dirigeantes. Ces quotas ont joué un rôle de levier. Mais à l’heure où la France atteint – ou s’apprête à atteindre – les seuils imposés par la loi, une question cruciale se pose : comment pérenniser ces progrès au-delà de l’obligation légale ?

« Les recherches sur l’égalité professionnelle mettent l’accent sur les différences de comportement dans la prise de décision et les quotas. Mais c’est le processus de recrutement lui-même qui devrait être repensé » – Angela Sutan, professeur en développement durable et chercheur en économie comportemantale à ESSEC Business School.

Claudia Goldin et la flexibilité des structures de travail

Angela Sutan fait régulièrement référence aux travaux de Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel d’économie en 2023, qui s’est penchée  sur les principaux facteurs de différences entre les hommes et les femmes sur le marché du travail.

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Dans un discours à l’AEA (American Economic Asociation), Goldin évoquait la nécessité de transformer la manière dont les emplois sont structurés et rémunérés, en particulier pour favoriser plus de flexibilité temporelle, un élément clé pour réduire les inégalités.

Ce que j’appelle la « dernière marche »

Ce qui m’intéresse tout particulièrement, compte tenu de mes engagements, c’est la question de l’accès à ce que j’appelle la « dernière marche » : les fonctions de direction, les conseils d’administration et conseils de surveillance. La féminisation des conseils d’administration reste fragile si l’on ne s’attaque pas aux causes systémiques des déséquilibres persistants.

En France, les lois Copé-Zimmermann et Rixain ensuite ont fait progresser la représentation des femmes dans ces espaces, nous plaçant parmi les pays les plus avancés. Mais il serait un peu trop facile de croire que le problème est derrière nous.

Le faux sentiment d’accomplissement

Dans les conseils d’administration, une fois les quotas atteints, les remplacements d’administrateurs ou d’administratrices sont, dans une large majorité, masculins. Cela pose un problème de renouvellement à moyen terme.

Dans les CODIR et COMEX, les groupes ont amorcé un effort réel  pour se conformer à l’échéance de la loi de 2026, atteignant une proportion de 27,3% de femmes en 2024 selon le Baromètre d’Ethics & Boards. Toutefois, ce mouvement semble ralentir comme me le confient plusieurs recruteurs et dirigeants proches.

Voir à ce sujet l’étude annuelle de Michel Ferrary.

Compétition et biais comportementaux

Ma collègue qui travaille en économie comportementale rappelle que les situations de compétition désavantagent structurellement les femmes. C’est ce que montre l’étude « Gender and Competition » de Muriel Niederle et Lise Vesterlund, Annual Review of Economics, 2011.

De mon côté, ayant travaillé dès 2012 sur le rapport des femmes au pouvoir , je constate encore aujourd’hui que certaines femmes se détournent de ces espaces de décision. Ce n’est pas un manque d’ambition, mais plutôt un rejet d’environnements très compétitifs, où s’imposent encore certains codes : goût du pouvoir, longues heures de présence sans prise en compte des contraintes familiales, etc…

Le poids des stéréotypes dans la sélection des dirigeants

Angela Sutan a mené des travaux avec Sylvain Max, Frank Lentz et d’autres chercheurs, à partir d’un test de simulation de recrutement pour un conseil d’administration de 11 membres.

Le constat est clair : la perception de la diversité produit un effet d’ordre qui rend la sélection d’hommes dans les conseils d’administration plus probable pour les premiers membres choisis. Autrement dit, les décideurs ont tendance à recruter moins de femmes, même si elles sont aussi compétentes et expérimentées que les hommes, favorisant les candidats qui leur ressemblent.

Voir l’étude : « Gender Diversity on Boards: The Appointment Process and the Role of Executive Search Firms », d’Elena Doldor, Susan Vinnicombe, Mary Gaughan et Ruth H.V. Sealy, International Centre for Women Leaders Cranfield School of Management Cranfield University, 2012).

Ainsi, les premiers recrutés sont des hommes, et le rappel de la nécessité de respecter la diversité n’intervient que pour les derniers membres afin de compléter l’équipe du conseil.

Quand les biais influencent aussi les renouvellements de mandat

Les études menées sur les recruteurs confirment ces biais. La DARES  s’est notamment interrogée en 2021 sur l’impact du sexe du recruteur dans les décisions d’embauche : «  Le sexe du recruteur a-t-il une influence sur le recrutement ? ».

Autre exemple révélateur : lors du renouvellement d’un mandat, l’absence de vision globale sur la composition du conseil ou de l’équipe mène souvent à une embauche masculine par défaut. Des stéréotypes tenaces ressurgissent : l’homme serait plus disponible, plus compétitif, plus apte à s’intégrer à une équipe existante .

Voit l’étude : (The Isolated Choice Effect and Its Implications for Gender Diversity in Organizations », Edward H. Chang, Erika L. Kirgios, Aneesh Rai, et Katherine L. Milkman, Management Science, 2020).

Pour une approche systémique du recrutement

Face à ces constats, les chercheurs recommandent une approche systémique et collective du recrutement :

  • Ouvrir plusieurs postes simultanément pour sortir de la logique du « choix isolé ».
  • Constituer des comités de sélection collectifs et mixtes pour réduire les biais inconscients.
  • Évaluer l’équipe dans son ensemble, dès le départ, pour intégrer l’équilibre de genre comme critère stratégique.

Car derrières ces mécanismes se cache un biais bien documenté en économie comportementale : le biais de similarité – notre tendance à faire confiance (et donc à choisir) des profils qui nous ressemblent. Une remise en cause de ce biais est indispensable pour consolider durablement la féminisation des conseils d’administration.

Viviane de Beaufort
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