Avec PhDTalent, Dounia Belghiti fait dialoguer recherche et entreprise

PhDTalent

Lancé par quatre docteurs, PhDTalent importe le savoir académique dans le monde de l’entreprise, à travers du recrutement classique et des missions de conseil. Entretien avec Dounia Belghiti, présidente et cofondatrice de la plateforme.

Vous connaissez bien le monde de la recherche puisque vous êtes vous-même docteur…

Dounia Belghiti : Suite à mon master en génie des procédés, que j’ai effectué entre l’université Pierre et Marie Curie, l’ESPCI, Chimie ParisTech et l’ENS, j’ai rejoint le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), à Saclay. J’y ai fait une thèse qui avait pour but de développer un capteur intelligent, avec un matériau auto-nettoyeur, afin de contrôler la qualité de l’eau potable distribuée dans les villes, et ce à l’échelle européenne.

J’ai déposé un brevet et j’ai eu la chance – le courage aussi ! – de publier plusieurs articles dans des revues américaines et de participer à des conférences internationales. Au cours de mon doctorat, j’ai pu observer l’absence de transfert de connaissances entre la recherche académique et le secteur industriel. PhDTalent est né de mon indignation personnelle face à ce constat. En essayant d’en comprendre les raisons, j’ai déduit qu’il n’existait pas d’outils pour simplifier la lecture et la visibilité des recherches académiques.

Mini Guide Leader

Cette situation est-elle spécifique à la France ?

Dounia Belghiti : Je dirais plutôt qu’elle est spécifique aux pays latins. En France, historiquement, l’ensemble des chercheurs qu’on formait restaient dans le secteur académique pour répondre aux besoins de l’enseignement. Mais le nombre de postes s’est réduit au fil des années, ce qui a complexifié l’insertion professionnelle des docteurs. D’autre part, aujourd’hui, le recrutement français est surtout axé sur les diplômes des écoles de commerce et d’ingénieur, et il n’y a pas de réelle curiosité pour les profils de chercheurs.

La France est le pays de l’OCDE où le taux de chômage des docteurs est le plus élevé. Néanmoins, la situation évolue peu à peu. Les a priori sont en train d’être levés (notamment la peur managériale d’intégrer un Bac+8 dans une équipe de Bac+5) et le crédit d’impôt recherche (CIR) joue son rôle incitatif. Grâce à ce dispositif, le salaire d’un docteur embauché en premier CDI dans une entreprise innovante peut être remboursé à hauteur de 120 % pendant deux ans.

Comment créez-vous des ponts entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise ?

Dounia Belghiti : Nous plaçons des chercheurs en entreprise pour des missions de conseil sur des problématiques complexes d’innovation. Concrètement, lorsqu’un client fait appel à nous, nous allons dans l’entreprise pour établir un diagnostic du besoin, nous sélectionnons le ou les experts à même de trouver une solution opérationnelle, et nous accompagnons les deux partis dans leur mise en relation et leur communication tout au long de la mission, qui dure généralement une vingtaine de jours.

Nous avons ainsi missionné un expert en sociologie comportementale pour aider un groupe de restauration qui rencontrait des difficultés à faire intégrer à ses collaborateurs les décisions managériales prises par le Comex. Aujourd’hui, nous comptabilisons 300 entreprises clientes et 7 500 experts, issus de toutes les spécialités.

Quels sont les principaux avantages de ces interactions ?

Dounia Belghiti : Prenons un exemple. Dans le domaine technologique, les entreprises peuvent tout à fait se tourner vers un prestataire qui propose une solution opérationnelle. Le chercheur, lui, a vu cette solution émerger il y a dix ans au minimum. Il connaît ses avantages et ses inconvénients, il sait comment elle va se transformer dans le temps, comment elle va s’intégrer dans l’écosystème de l’entreprise, et il peut donc faire des recommandations transparentes.

Pour les docteurs, ces missions représentent un tremplin : ils mettent un pied dans la culture d’entreprise, prennent conscience de la valeur de leurs savoirs et acquièrent la confiance nécessaire pour aller vers le marché de l’emploi privé.
Plus largement, il y a une nécessité sociale à ce que la recherche et l’industrie collaborent, que ce soit en termes de santé, de sécurité ou d’écologie. Nous voulons faire en sorte que des experts absolus dans leur domaine, qui ont une vision à long terme et internationale, puissent accompagner la société dans les différentes transformations qu’elle connaît aujourd’hui.

Comment vous rémunérez-vous ?

Dounia Belghiti : La partie diagnostic et recherche d’experts, fixe, est directement facturée à l’entreprise. Parallèlement, nous appelons les chercheurs et nous mettons d’accord avec eux sur les tarifs. Ce qu’ils ont négocié est ensuite facturé à l’entreprise, en comptant la commission que PhDTalent récupère sur leurs journées de travail.

Quelles sont les règles en matière de propriété intellectuelle ?

Dounia Belghiti : L’idée est plutôt de transformer les brevets, les publications scientifiques qui existent déjà en valeur économique puissante. Lorsqu’il y a matière à breveter – ce qui est rare –, la loi est très claire : la propriété intellectuelle appartient à la personne qui a payé la mission, mais le chercheur reste auteur de son brevet. Pour ce qui relève de la valorisation, les conditions sont définies en amont selon la politique interne de l’entreprise.

Vous proposez aussi un volet recrutement…

Dounia Belghiti : Les entreprises peuvent en effet poster des offres d’emploi et faire leur sélection parmi les 7 500 chercheurs répertoriés. Nous organisons par ailleurs des événements, à commencer par le PhDTalent Career Fair, qui est devenu le plus grand rendez-vous au monde consacré au recrutement des chercheurs. Il aura lieu le 18 octobre à Paris, au Centquatre, et réunira 5 000 PhD et 150 entreprises, avec le ministère de l’Enseignement supérieur, la région Île-de-France et la mairie de Paris. De nombreuses conférences y seront proposées, ainsi que deux concours : le PHD, pour Pitch and Hire your Doctor, qui verra des start-up et des PME délivrer des argumentaires RH afin de convaincre les docteurs de les rejoindre ; en miroir, l’autre concours de pitchs permettra aux docteurs de venir exposer leur projet professionnel face à des entreprises.

Enfin, nous mettrons l’accent sur l’entrepreneuriat à travers deux types d’ateliers : une partie initiation, où des spécialistes (accélérateurs, incubateurs, business angels…) présenteront les tenants et les aboutissants de l’entrepreneuriat, et une partie entrepreneuriat en tant que tel, où des docteurs qui ont un projet de création d’entreprise pourront être accompagnés par des acteurs du secteur.

Selon vous, l’entrepreneuriat peut-il constituer un débouché intéressant pour les docteurs ?

Dounia Belghiti : Entrepreneurs et chercheurs partagent la même problématique : ils veulent changer le monde mais n’ont pas d’argent. Dans un cas comme dans l’autre, il faut apprendre à convaincre les gens d’investir dans son projet. Il y a un véritable effet de miroir entre le créateur d’entreprise et le docteur : ils doivent être capables de naviguer dans l’incertitude, de tester, d’échouer et de se relever jusqu’à trouver la bonne solution ; et ils doivent savoir gérer la complexité et ne reculer devant rien.

Quels sont vos prochains objectifs ?

Dounia Belghiti : Grâce aux bénéfices de 2018, nous avons pu tripler nos effectifs : nous sommes désormais neuf, en plus des cofondateurs. Au-delà de l’Europe, nous avons commencé à attaquer le marché en Afrique du Nord, au Canada et en Chine. Nous souhaitons aussi développer l’aspect « communauté d’experts » de la plateforme. Nous voulons que des experts du même secteur puissent échanger entre eux sur des enjeux de société ou à partir d’une problématique donnée. Cela renforcerait la dimension institutionnelle de PhDTalent, et nous permettrait de travailler sur des projets européens.

Manon Dampierre

0
    0
    Votre panier
    Votre panier est vide