Face à la hausse des cas de soumission chimique, notamment en soirée ou en club, Ellena Andreolli a décidé de ne pas rester spectatrice. Avec Clover, elle conçoit des accessoires discrets, design et connectés, capables de détecter la présence de substances dangereuses dans les boissons. Une innovation vitale, portée par une fondatrice qui place la protection des corps et la liberté de circuler en toute sécurité au cœur de son combat. Lauréate des Business O Féminin Awards 2025 en tant que « Coup de coeur » du jury, elle raconte l’origine de son projet, et sa volonté à faire bouger les lignes.
Quel a été le déclencheur de la création de Clover ?
Ellena Andreolli : Le déclencheur a été à la fois personnel et sociétal. J’ai été témoin, à travers mon entourage, de nombreuses situations de soumission chimique, concernant aussi bien des femmes que des hommes – ce qui m’a particulièrement marquée. Progressivement, le sujet est devenu récurrent : presque chaque semaine, un ami, ou un proche d’ami, était concerné. Et toujours dans des contextes où rien ne semblait l’expliquer : très peu d’alcool consommé, des effets physiques soudains et disproportionnés… Or, il n’existait aucune solution concrète pour se protéger. On en parlait beaucoup, mais on restait impuissants. Cela a fini par créer un climat d’anxiété permanent : nous sortions avec moins de légèreté, toujours sur nos gardes.
C’est alors que l’idée a commencé à germer. J’ai envisagé un dispositif de prévention, sans pouvoir m’y consacrer pleinement, étant engagée sur un autre projet. Cependant, après la fin de celui-ci, le sujet est revenu avec insistance. C’est un échange inattendu avec mon cordonnier – bien en dehors de mon cercle habituel – qui a ravivé le déclic. Il me parlait lui aussi de cas récents, mais à Ibiza. À ce moment-là, j’ai compris qu’il était temps d’agir.
J’ai alors mené une série d’enquêtes qualitatives auprès de publics variés. Et ce que j’ai découvert m’a profondément frappée : le phénomène était bien plus vaste que je ne l’imaginais. Tous profils confondus, beaucoup de personnes se sentaient concernées, mais n’avaient à leur disposition aucune solution réellement fiable, pratique ou simplement acceptable en termes d’usage et de design.
Est-ce une expérience personnelle ou un constat général qui a conduit à la création de Clover ?
Ellena Andreolli : Le véritable point de bascule, celui qui a transformé cette idée en engagement, est survenu lorsqu’une amie proche m’a confié avoir été victime de soumission chimique… qui s’était soldée par une agression sexuelle. Le choc a été immense. Pourquoi ne m’en avait-elle jamais parlé ? Et surtout : combien d’autres personnes vivaient cela en silence ?
À partir de jour-là, j’ai su que je ne pouvais plus rester spectatrice. Clover est née de cette urgence : celle de proposer une réponse concrète à un problème systémique, là où il n’existait encore aucune alternative fiable. J’ai décidé de m’engager pleinement, afin d’agir et de contribuer à faire bouger les lignes.
En quoi vos accessoires permettent-ils concrètement de renforcer la sécurité des personnes dans les espaces festifs ?
Ellena Andreolli : Le véritable défi était de concevoir un objet à la fois utile et désirable, capable de remplacer ce geste devenu réflexe : garder sa main sur son verre pour se sentir en sécurité. Selon les retours utilisateurs, les protections existantes – les « cups » classiques – peinent à convaincre : elles sont jugées peu pratiques, peu esthétiques, de qualité souvent insuffisante, et bien que présentées comme réutilisables, elles s’abîment rapidement.
J’ai donc entièrement repensé le produit en m’appuyant sur ces retours. L’objectif : une cup 4.0 plus sécurisée. Je voulais lui associer une image nouvelle, plus libre et positive. Il fallait rompre avec l’aspect anxiogène souvent lié ces dispositifs.
Cependant, couvrir son verre ne suffit pas toujours. Une substance peut être versée au moment du service par un personnel malveillant ou lors de l’acceptation d’un verre offert. Faut-il sacrifier toute spontanéité par précaution ? Ou disposer d’un outil fiable pour vérifier si un doute survient ?
C’est dans cette logique que nous avons développé un dispositif de détection de drogues. Il est pensé comme un accessoire complémentaire, connecté à une application mobile. Contrairement aux tests colorimétriques classiques, notre solution repose sur une technologie plus fiable. Elle détecte la majorité des substances utilisées dans les cas de soumission chimique – notamment les benzodiazépines et le GHB – quelles que soient l’acidité de la boisson ou la concentration de la drogue.
Le dispositif est réutilisable, discret, rapide et connecté à une application mobile. L’application permet de recevoir une alerte en temps réel, de signaler un danger à la communauté, et de conserver une preuve en cas de dépôt de plainte.
Comment avez-vous allié technologie, design et usage dans un même produit ?
Ellena Andreolli : La conception du détecteur s’est articulée en plusieurs étapes. La première était dédiée à la technologie. Avant même de penser au format ou au design, il fallait une solution fiable. J’ai donc mené une étude de marché approfondie et une recherche d’antériorité. Il s’agissait d’identifier les dispositifs existants, leurs limites, les substances à détecter, leurs concentrations usuelles, ainsi que les contraintes liées aux boissons (acidité, dilution, etc…). Le chimiste a ensuite développé une technologie de détection à la fois rapide, réutilisable et performante. Elle s’adapte à tous les types de boissons et contextes.
La deuxième étape portait sur l’usage. Les enquêtes quantitatives ont montré l’importance d’un objet simple, discret, intuitif, facile à transporter, et surtout compatible avec les contraintes techniques. La première version, développée avec un bureau d’études, répondait à ces critères fonctionnels, mais néanmoins s’est révélée trop encombrante et insuffisamment attractive sur le plan esthétique.
Le design est donc devenu la troisième brique essentielle à prioriser. Nous retravaillons actuellement le format avec des designers et experts techniques afin de proposer un modèle plus compact et miniaturisé que le premier prototype.
Enfin, l’application mobile vient compléter le produit. Son développement est mené en parallèle de l’optimisation du produit physique.
Aujourd’hui, la technologie est fonctionnelle et testée. Nous finalisons les deux dernières briques – le design et l’application – pour lancer dans les prochains mois le produit sur le marché.
Quels obstacles techniques ou sociaux avez-vous dû surmonter pour lancer Clover ?
Ellena Andreolli : Sur le plan technique, le premier défi majeur a été le développement de la technologie de détection – un travail de fond complexe. Le second, tout aussi stratégique, réside dans sa miniaturisation. Ce processus requiert un équilibre délicat entre performance scientifique, esthétique, respect des normes alimentaires, facilité d’utilisation et maîtrise des coûts de production. Un véritable défi d’ingénierie et de design.
Sur le plan sociétal, les enjeux sont tout aussi majeurs. Il est essentiel de faire évoluer les comportements, d’instaurer de nouveaux réflexes de protection et de favoriser l’adoption d’un type de produit encore peu démocratisé. Pour que ce geste de prévention devienne naturel et non perçu comme une contrainte, le produit doit allier design, praticité et approche positive.
Un autre enjeu sociétal réside dans l’adhésion des établissements festifs et culturels. Il est nécessaire de les convaincre d’adopter ces outils dans une démarche de prévention globale. Et ce, malgré les contraintes budgétaires ou organisationnelles que cela peut représenter. Pour y parvenir, il est indispensable de construire une image de marque forte et cohérente, de renforcer la visibilité de Clover, et de s’appuyer sur des partenariats clés, qu’ils soient issus du secteur B2B ou des institutions publiques. C’est un travail qui demande du temps et de la constance.
Quelle place prend la sensibilisation dans votre démarche entrepreneuriale ?
Ellena Andreolli : La sensibilisation occupe une place centrale dans ma démarche entrepreneuriale. Clover ne se limite pas à la conception d’accessoires technologiques de prévention ou de détection. L’ambition va au-delà ! Il s’agit de contribuer à une évolution des comportements, en favorisant l’adoption de nouveaux réflexes de protection, en libérant la parole autour de sujets encore trop tabous, et en renforçant la conscience des risques. Pour que chacun·e puisse vivre ses moments festifs en confiance et en sécurité.
Cette mission passe par une stratégie de sensibilisation multicanale : communication sur les réseaux sociaux, organisation et participation à des événements, échanges réguliers avec les professionnels du secteur festif. Mais aussi des actions de relations presse et des prises de contact avec des représentants institutionnels. Un tel combat ne peut être porté seul, il doit s’inscrire dans une dynamique collective.
La sensibilisation, c’est aussi travailler main dans la main avec les acteurs engagés, tels que Kluster, Consentis et d’autres collectifs qui œuvrent pour des environnements festifs plus sûrs. Ces collaborations permettent de bâtir des passerelles concrètes entre prévention, information et action sur le terrain.
Enfin, les concours et initiatives telles que les Business O Féminin Awards jouent un rôle essentiel en apportant une visibilité précieuse à des enjeux tels que le nôtre. Elles contribuent à légitimer notre démarche de sensibilisation et encouragent la création de partenariats structurants. Ils sont ainsi indispensables pour passer à l’échelle et renforcer notre impact.
Quelles sont vos ambitions pour Clover : déploiement à l’international, partenariats avec les établissements, élargissement de la gamme ?
Ellena Andreolli : Clover a été pensée pour générer un impact significatif, en France comme à l’international. Sa stratégie de déploiement repose sur une expansion progressive à l’étranger, fondée sur des partenariats stratégiques, des opérations de co-branding, ainsi qu’une présence ciblée sur le terrain : festivals, clubs, établissements festifs, événements culturels… Le développement passera également par les canaux digitaux, notamment via l’e-commerce.
À moyen terme, nous prévoyons de diversifier l’offre avec des accessoires complémentaires pour enrichir l’écosystème Clover. Le potentiel de déploiement est important.
Cela dit, la condition essentielle à cette expansion reste la démocratisation de ces outils : les rendre visibles, accessibles et attractifs, afin de favoriser leur adoption à grande échelle et de positionner durablement Clover comme une solution de référence en matière de prévention et de détection.
Que représente cette reconnaissance pour vous en tant que fondatrice engagée sur un enjeu de société majeur ?
Ellena Andreolli : Recevoir un prix comme celui-ci est à la fois un honneur et un formidable tremplin. C’est bien plus qu’une reconnaissance du travail accompli. C’est la validation de l’utilité du projet, de sa pertinence sociétale, et du besoin urgent auquel Clover répond. Ce type de distinction ouvre des perspectives concrètes en offrant une visibilité précieuse. Il attire l’attention de partenaires, de financeurs, et représente un levier essentiel pour accélérer le développement et la commercialisation des produits. C’est un véritable propulseur au moment où tout se joue.
Comment cet engagement personnel est-il devenu une mission entrepreneuriale à impact ?
Ellena Andreolli : Sur le plan personnel, c’est un engagement de longue date qui prend tout son sens. Je suis devenue entrepreneure parce que cette cause me touche profondément. L’envie d’être utile a toujours été un fil conducteur dans ma vie. Lorsque les premiers cas de soumission chimique ont émergé dans mon entourage, ce besoin de m’engager s’est imposé comme une évidence. C’est ce qui a résonné en moi et m’a poussée à créer Clover.
Malgré les défis – l’investissement personnel, l’implication financière, la complexité de la R&D – je n’ai jamais envisagé d’abandonner. Je suis déterminée à aller jusqu’au bout pour mettre sur le marché des produits réellement protecteurs, fiables, et adaptés à la réalité du terrain. Ce prix vient renforcer cette conviction. Avec de la détermination, de la motivation, de la résilience et une vision claire, il est possible de transformer une idée en solution concrète. Même face aux obstacles !
Le moment est décisif – et ce prix est arrivé à un moment clé. Clover est sur le point d’être lancée. Les derniers ajustements techniques sont en cours, et tout est réuni pour permettre une mise sur le marché très prochaine. Un léger soutien complémentaire permettra d’accélérer cette dernière ligne droite et de donner au projet l’ampleur nécessaire pour toucher le plus grand nombre et commencer, enfin, à protéger concrètement.
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