Caroline Codsi : « Le meilleur dirigeant est le leader féminin-masculin »

Caroline Codsi
Nommée dans le top 100 des femmes les plus puissantes du Canada et créatrice de l’ONG La Gouvernance au féminin, Caroline Codsi entend aider les femmes à se hisser au sommet de la pyramide. Rencontre avec une leader née alliant féminité et audace à l’occasion du Women’s Forum.

Vous avez grandi au Liban, mais avez dû quitter votre pays à cause de la guerre. En quoi cela a impacté votre trajectoire de vie ?

Caroline Codsi : J’ai grandi pendant la guerre à Beyrouth, puis j’ai quitté mon pays à 17 ans pour m’installer seule à Paris parce que ma mère craignait pour ma sécurité : il faut dire qu’il était impossible de m’empêcher de sortir même pendant les bombardements ! Je pense que c’est ce qui explique ma détermination, mon courage et ma résilience. La guerre a débuté quand j’avais 7 ans et s’est finie lorsque j’ai fêté mes 22 ans, une période charnière où l’on se construit en tant que femme.

Puis en 1990, je me suis installée définitivement au Canada et mes parents aussi. Ce qui est triste c’est que la guerre s’est terminée à peu près au même moment. Je ressens souvent beaucoup de nostalgie pour mon pays, mais aussi pour Paris ou Montréal quand je n’y suis pas. Je suis une femme très optimiste mais c’est un sentiment qui m’habite souvent. 

Les femmes libanaises sont réputées être des femmes fortes. Vous en avez certainement de beaux exemples dans votre propre famille ?

Caroline Codsi : Ma mère est une femme incroyable, une vraie beauté même si ce n’est pas l’essentiel. A 76 ans, elle fait le pitre sans arrêt. C’est une femme forte à la détermination sans faille. Et je crois que c’est elle qui m’a donné confiance en moi : quand j’étais petite, elle me disait sans cesse « tu es un génie ma Carolinette ». Même si je le prenais comme une parole de mère, je suis persuadée que ça a eu un impact sur moi. Je l’admire aussi de m’avoir envoyée seule à Paris alors que son entourage l’encourageait à me garder dans le giron familial.

Mini Guide Leader

Pouvez-vous nous raconter en quelques lignes votre trajectoire professionnelle afin que les Françaises vous connaissent mieux ?

Caroline Codsi : J’ai travaillé dans le monde corporatif pendant plus de 25 ans, principalement dans les ressources humaines. Dans les entreprises où j’ai collaboré, j’ai multiplié par 2, 3 ou 4 le chiffre d’affaires, ce qui m’a catapultée jusqu’au poste de vice-présidente exécutive d’une grosse entreprise dans le domaine de l’expertise médicale. C’est là que j’ai pris la mesure de la très faible présence des femmes dans les organes décisionnels.

C’est pourquoi, en 2010, j’ai décidé de créer mon ONG « La Gouvernance au féminin » avec l’objectif d’aider les femmes à faire preuve de plus d’audace, à demander des promotions, et surtout à siéger dans les conseils d’administration. Très vite, j’ai compris que les hommes devaient être impliqués dans le projet, et je pense que cela a été l’une des clefs du succès de la Gouvernance au féminin. Concrètement, j’ai d’abord organisé des événements inspirationnels avec des personnalités de premier plan comme Hillary Clinton ou Justin Trudeau, puis j’ai mis en place un programme de mentorat auprès des femmes vice-présidentes afin qu’elles deviennent PDG ou dirigent les conseils d’administration. J’ai ajouté à cela une formation en gouvernance.

Vous avez été hissée au rang des 100 femmes les plus puissantes du Canada : comment définiriez-vous votre style de leadership ?

Caroline Codsi : Authentique et transparent. Au début de ma carrière, on me reprochait d’être trop proche de mes équipes, de ne pas avoir un comportement assez exécutif. Mais je pense que c’est une force. D’ailleurs, de nombreux collaborateurs m’ont suivie d’entreprise en entreprise. Je leur dis ce que je pense, ce n’est pas toujours facile à entendre mais pour moi, il est essentiel que chaque personne de mon organisation s’en sente l’ambassadeur.

La notion de « leadership au féminin » ne fait pas l’unanimité. De votre côté, pensez-vous que certaines qualités soient plus féminines que d’autres ?

Caroline Codsi : Oui, je pense que les femmes sont effectivement plus empathiques que les hommes, car notre cerveau émotionnel est plus développé.  Cela ne veut pas dire que les femmes sont trop émotives, mais elles utilisent cela de manière bienveillante envers leurs employés. Cela leur joue parfois des tours car certaines perdent de leur propre visibilité en mettant en avant leurs équipes.

Bien sûr, il y a aussi des qualités typiquement masculines comme l’audace, la capacité à sortir de sa zone de confort ou à réseauter. D’après moi, un bon leader sait allier ces deux types de leadership. Et je pense que cela est plus facile pour les femmes car elles peuvent toutes apprendre à demander. De mon côté, j’estime que ma plus grande force est justement de m’être imprégnée des capacités des hommes pour devenir ce leader féminin-masculin.

Avec le soutien de McKinsey, vous avez lancé en 2017 WiG, le premier certificat de parité au Canada, pouvez-vous nous en dire plus ?

Caroline Codsi : En 4 ans, nous avons certifié plus de 60 entreprises sur la base de 100 critères. Nous regardons les données sur les postes d’entrée jusqu’aux comités de direction, avec un œil sur les rémunérations, promotions, les politiques de recrutement ou de rétention des talents. Sur cette base, nous classons les entreprises et leur remettons un rapport complet avec des recommandations pratiques et du soutien pour qu’elles puissent faire évoluer la situation. Nous lançons la certification cet automne aux Etats-Unis et aimerions nous développer en Europe notamment en France.

Au Canada, il n’existe pas de politique des quotas. Y êtes-vous favorable ?  

Caroline Codsi : Oui ! En France, grâce à la loi Coppé-Zimmermann, les femmes occupent 40% des sièges dans les CA, soit le double du Canada, alors que notre culture est bien moins machiste. Dans plus d’un tiers des entreprises cotées en bourse du Canada, il n’y a tout simplement aucune femme. L’économie a besoin des femmes et tout gouvernement qui ne l’a pas compris accuse un retard. Cette phrase résume bien ma pensée : « quand on légifère, on trouve des femmes, quand on ne légifère pas, on trouve des excuses ».

Assurer une meilleure représentativité des femmes, c’est aussi promouvoir une culture plus inclusive : quels sont, au quotidien, les petits gestes qui vous semblent les plus pertinents en entreprise ?

Caroline Codsi : Il est essentiel d’avoir au moins une femme du côté des recruteurs car un homme va avoir tendance à choisir plus facilement son comparse car il va se reconnaître en lui. Il faudrait aussi ne pas permettre à un dirigeant de participer à un panel s’il ne comporte aucune femme. Il est également primordial d’accompagner les femmes spécifiquement, surtout quand elles reviennent d’un congés maternité. Et enfin soutenir les hommes qui veulent passer plus de temps avec leurs enfants : en faisant cela, on aide leurs compagnes à faire progresser leur carrière !

Et pour finir, quelles sont les personnalités qui vous inspirent le plus ?

Caroline Codsi : Melinda Gates qui fait un travail incroyable avec sa fondation pour réduire l’écart entre les hommes et les femmes, Malala qui continue à se battre pour l’éducation des filles alors que cela a failli lui coûter la vie, ou encore Sheryl Sandberg et son formidable livre Lean In. 

Paulina Jonquères d’Oriola

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