Startup/grands groupes : une relation gagnant/gagnant

Start-up/grands groupes : une relation gagnant/gagnant

D’un côté, les grandes entreprises se prennent à rêver d’agilité et d’innovations de rupture. De l’autre, les start-up entrevoient la possibilité de donner un puissant coup d’accélérateur à leur développement. Désormais fréquentes, les collaborations entre ces deux acteurs de l’économie portent-elles leurs fruits ? Quels enjeux recouvrent-elles ? Quels écueils rencontrent-elles ? Comment garantir leur succès ? Quels sont les relations entre startup/grands groupes ?

Dans un monde chamboulé par la révolution numérique, de grandes entreprises, confortablement installées sur leur marché, ont vu surgir des jeunes pousses qui ont modifié les règles du jeu. Et parfois même emporté la mise. Face à cette menace, les acteurs traditionnels de l’économie, fragilisés, cherchent désormais à anticiper les disruptions et à transfuser dans leurs veines l’esprit d’innovation et d’entrepreneuriat en nouant des collaborations avec les startups.

Mais concrètement, quels bénéfices les grands groupes en retirent-ils ? Pour Matthieu Vetter*, cofondateur et CEO de Silex ID, média dédié aux innovations de rupture et agence favorisant la relation entre startups et grandes entreprises, « le spectre peut être beaucoup plus large que ce qu’on imagine », balayant à la fois des objectifs de veille technologique, de lancement accéléré de produits et services, de réorganisation, de communication, d’impact sociétal, d’investissement. « Le grand défi, c’est la transformation de l’entreprise. C’est de réussir à garder ce qui fait sa force tout en lui injectant de l’ADN de start-up pour devenir un mutant, réunissant le meilleur des deux mondes », poursuit-il.

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Côté start-up, les bienfaits potentiels s’avèrent également variés : accès à des financements, à une expertise, à des circuits de distribution, à de nouveaux marchés, adossement à une notoriété renforçant la crédibilité auprès des investisseurs comme des consommateurs…

Une relation protéiforme

Depuis quelques années, on a ainsi vu s’épanouir de multiples formes de collaboration entre les sociétés du CAC 40 et les startups. On ne compte plus les grands groupes qui organisent des hackathons et décernent des récompenses aux jeunes pousses les plus prometteuses (Prix start-up Fnac, Prix EDF Pulse…). Autre type d’action : le corporate venturing, qui se traduit par la prise de participations dans des startups. Conséquence de cette tendance, des équipes internes sont mises sur pied au sein des grands groupes pour repérer les jeunes entreprises à fort potentiel, afin d’investir dans leur développement. Voire d’y participer dans une démarche d’open innovation.

Certains vont plus loin en montant leurs propres accélérateurs (Microsoft Ventures) ou incubateurs (Total), qui prolifèrent − y compris en interne − tant dans les groupes privés que publics. Les startups, déjà en phase de lancement ou avec un concept innovant pour seul bagage, bénéficient d’un hébergement, de conseils et d’un réseau.

Dans la majorité des cas, la politique d’innovation se déploie dans plusieurs directions. À côté de SEB Alliance, qui a notamment investi dans Alkemics, dont la dernière levée de fonds de 20 millions d’euros a fait grand bruit. Le groupe d’électroménager s’emploie à développer un véritable écosystème (services, produits, partenaires) autour de la question « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? ».

En charge de cette mission, Xavier Boidevezi **, directeur business développement et digital, a notamment monté un partenariat avec Mathilde Ferré et Gabrielle Saint-Dizier, les fondatrices de la startup Cook’Ease (rachetée depuis par Les Commis), spécialisée dans la livraison de paniers de produits frais, locaux et pré-dosés pour réaliser des recettes. Les deux jeunes femmes ont ainsi sélectionné dans la base de données du multicuiseur intelligent Cookeo des recettes adaptées, pour lesquelles il était possible de commander en ligne les ingrédients prêts à l’emploi. « On vous épargne la corvée des courses et on vous fait gagner du temps en cuisine, tout en vous permettant de manger sain et équilibré », résume Mathilde Ferré.

Le choc des cultures


Néanmoins, concilier des cultures d’entreprise à ce point opposées s’apparente souvent à un véritable parcours du combattant. Comme le rappelle Matthieu Vetter, « une start-up est user centric alors qu’un grand groupe est product centric. La première est agile, et donc facilement adaptable, tandis que le second planifie sur des années. Enfin, contrairement à la start-up, le grand groupe est très peu transparent et fortement hiérarchisé. » Autre différence pointée par Xavier Boidevezi : la maturité. Une grande entreprise, pourtant prête à collaborer, peut se retrouver face à une startup qui « n’est pas forcément mûre pour rentrer dans un partenariat, parce qu’elle est confrontée à une première problématique qui est de survivre, de réussir à développer son service. Mais il existe aussi des cas de figure où c’est le grand groupe qui se révèle moins mature », explique-t-il.

Là où Mathilde Ferré et Gabrielle Saint-Dizier n’ont eu besoin que de quelques minutes autour d’une table pour s’engager dans le projet, Xavier Boidevezi, de son côté, a dû surmonter quantité d’obstacles pour le mettre en place. Légales (dépendance des fournisseurs), juridiques (accords de confidentialité) ou encore organisationnelles, ces barrières nécessitent de s’adapter. « Quand on a affaire à un grand groupe, on sait qu’on va rencontrer des lenteurs, ne serait-ce que parce que les strates de validation sont nombreuses. Mais on ne s’attend jamais à avoir autant de retard. Cela a impacté nos chiffres, notamment nos plans financiers, puisqu’on avait tout revu en se basant sur une date de lancement beaucoup plus avancée », confie la cofondatrice de Cook’Ease, qui a également travaillé avec la SNCF et Bouygues Immobilier.

Les clés de l’entente

Malgré ces contretemps inévitables, la jeune femme insiste sur l’importance et les bénéfices, à moyen et long terme, de ces partenariats. Reste qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies pour garantir leur succès. « Il faut garder son indépendance, ne pas en faire son modèle de vente et son principal cheval de bataille », conseille Mathilde Ferré. D’autant plus que sceller des alliances à tout va, dans une pure optique de communication, sans se préoccuper des débouchés, présente un intérêt limité. « Beaucoup trop de services ont été développés sans être vraiment focalisés sur la notion d’expérience utilisateur. Lorsque je collabore avec des start-up, je leur pose toujours la question : concrètement, qu’est-ce que cela va apporter à l’utilisateur final ? Si, après l’avoir testé, on juge toujours le service pertinent, et si l’utilisateur est satisfait de la proposition de valeur, alors on le développe », affirme Xavier Boidevezi.

Au-delà de la plus-value pour le consommateur, start-up et grands groupes doivent s’efforcer « d’aligner leurs attentes et de se synchroniser », comme le martèle Matthieu Vetter. Exprimer clairement ses objectifs dès le départ, définir ensemble un planning, sans hésiter à fonctionner en cycles courts, et se mettre d’accord sur la partie communication constituent autant d’étapes clés pour s’assurer que les deux partenaires vont dans la même direction. Travailler avec le bon interlocuteur fluidifie par ailleurs la relation. « Lorsque l’impulsion vient du haut de la hiérarchie, comme c’était le cas avec le groupe SEB, c’est tout de suite plus simple », estime Mathilde Ferré. La Digital Factory pilotée par Xavier Boidevezi, qui contribue à la transformation digitale de l’entreprise, fonctionne ainsi « quasiment à 100 % en agile ». Les échanges et la mise en œuvre du plan d’actions en sont facilités, les équipes associées sur le projet parlant le même langage.

Si certains grands groupes ont eu tendance à considérer les start-up comme de simples outils pour rajeunir leur image, sans tenir compte de leurs impératifs et de leurs attentes, d’autres, à l’image de SEB, sont passés par une phase de test and learn qui a accouché de modèles de collaboration plus tangibles et équilibrés. De manière générale, ces relations restent largement perfectibles, mais les retours d’expériences positifs tendent à progresser − comme l’illustre le baromètre 2017 de la relation start-up/grand groupe réalisé par Le Village by CA et Bluenove −, ce qui laisse présager un avenir potentiellement fructueux entre ces deux entités que tout oppose.

Manon Dampierre

* Matthieu Vetter est coauteur de l’ouvrage Les start-up expliquées à mon boss − Du partenariat au corporate venturing (Editions Kawa).

** Xavier Boidevezi est secrétaire national de la Food Tech, réseau thématique de la French Tech dans lequel est impliqué le groupe SEB.

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