Solidarité féminine : le grand bluff ?

rivalité féminine : solidarité féminine le grand bluff ?

La solidarité féminine dans le monde du travail existe t-elle? La réalité ne semble pas si rose comme le dévoile Annick Houel, professeure émérite de psychologie sociale dans son dernier livre “Rivalités féminines au travail, l’influence de la relation mère-fille (éd.odile Jacob).

Alors que l’on valorise aujourd’hui le « leadership au féminin », vous osez aborder un thème tabou !

Annik Houel : L’idée de ce livre est venu de ma pratique d’enseignante, et des témoignages de mes étudiantes en psychologie du travail, amenées à être de futures DRH. Celles-ci m’ont parlé de la misogynie féminine qu’elles ont pu observer, alors qu’elles étaient parties très confiantes à l’idée d’avoir une femme maître de stage. Ce sont justement dans les rapports de pouvoir que les problèmes hiérarchiques se réveillent, alors qu’il peut il y avoir par exemple une certaine solidarité dans le monde ouvrier.

Dans les années 80, la « killeuse » était ultra-valorisée, tandis qu’aujourd’hui, la femme maternante revient en force. Les travailleuses n’ont toujours pas réussi à concilier leurs deux faces, celle de la mère et celle de la femme ? 

Annik Houel : Oui, c’est vrai. Mais il faut dire qu’on ne leur donne pas non plus les moyens d’y arriver. Avec la crise, les choses se sont tendues sur marché du travail. Si on a fait des efforts vers la fin des trente glorieuses, ces efforts sont tombés à l’eau. Par exemple, les enfants ne peuvent plus rentrer en maternelle à deux ans. Du coup, le système va faire que les femme ne vont plus travailler car cela n’est pas rentable pour elles à cause des écarts de salaires. Autrement, elles travaillent à temps partiel ce qui induit une perte de possibilité d’avancement ou encore une moins bonne retraite. Ce retour de la femme maternante se fait par la force des choses, ce n’est pas un idéal de société.

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Ce retour s’exprime notamment dans le fait que le salaire des femmes sert toujours à payer le salaire de la nounou, comme pour « réparer » la fonction maternelle…

Annik Houel : La culpabilité que les mères ont, c’est peut être ça qui revient en force. La presse féminine est assez tragique, on a l’impression qu’on peut être mère au travail et bien coiffée, ce qui n’est pas la réalité. Peu d’articles sont consacrés à la conciliation des tâches ménagères et du travail. Les femmes se sentent toujours coupables de ne pas y arriver. Plus généralement, il faut voir que la femme française remet peu en cause les rapports hiérarchiques homme-femme. Quand les femmes ont dans la tête que c’est leur salaire qui doit payer la nounou, on se demande pourquoi ? Cela va encore une fois avec le fait qu’elles travaillent moins, gagnent moins, c’est un cercle vicieux.

Vous partez du postulat que c’est le rapport de haine-amour entre la mère et la fille qui se rejoue dans le monde du travail, comme lorsqu’une manager se permet des réflexions sur les tenues de sa subalterne, ou qu’une subalterne trouve sa manager infantilisante. Pourquoi ces sentiments rejaillissent à ce moment là ?

Annik Houel : Car il est question de hiérarchie. De façon caricaturale, la chef est en général plus âgée. Cette position hiérarchique rejoint celle de la petite enfance. Le premier objet d’attachement pour la petite fille ou le petit garçon, c’est la mère. Mais la petite fille continue à rester attachée à la mère car c’est une figure d’identification. Pour devenir femme, elle se dit, je dois être mère : ce qui débouche sur des confusions passionnelles.

Au travail, ce rapport va se rejouer dans le conflit ou non, dès lors qu’il y a un attachement passionnel. La femme croit que sa chef l’adore ou la déteste. Socialement et historiquement, les femmes sont très ancrées dans l’affect. Un homme ne va pas dire que son chef ne l’aime pas, même si dans une certaine mesure l’homme oublie trop les dimensions affectives qui existent toujours. Certaines femmes managers arrivent à jouer la carte de la douceur et de l’autorité, mais c’est très dur car il faut bien que des ordres soient donnés.

Les femmes n’aiment pas les conflits mais elles ont du mal à les analyser. Les entreprises devraient s’en occuper, mais si elles font intervenir des médiateurs pour les hommes, elles ne s’occupent pas des femmes, estimant qu’il est naturel qu’elles se crêpent le chignon. Et puis en période de crise, personne ne se plaindra que les femmes quittent le monde du travail.

Rivalités féminines au travailUne femme qui aurait dépassé ce conflit avec sa mère, et aurait trouvé sa place de femme, serait-elle moins sujette à ces rivalités, ou est-ce un conflit qui ne se résout vraiment jamais  ?

Annik Houel : Je crois que ce conflit ne se résout pas. Ce n’est pas une mauvaise chose car ce qui compte c’est de briser cet idéal de la mère parfaite ou de la mauvaise mère. Tout en gardant des liens affectifs, simplement accepter que sa mère est une femme ordinaire.

Au travail, les femmes intègrent les codes masculins et dénigrent parfois les femmes enceintes. Renient-elles leur propre statut de femme ?

Annik Houel : C’est le risque. Elles ne sont pas à l’aise quand elles font ça, mais elles le font pour rester sous l’aile du pouvoir. Plus une femme se sent mal dans une position, plus elle va stigmatiser ce qu’elle craint pour elle. Cela profite bien entendu au pouvoir masculin. Il suffit de les titiller un peu pour qu’elles se dressent l’une contre l’autre. Il faut malgré tout noter que l’entrée dans le monde du travail salarié des femmes est récente, et qu’elles ne sont pas encore à un niveau hiérarchique suffisant pour que cela change vraiment. Les femmes ne seront jamais des hommes, elles doivent apprendre à maximiser leurs propres ressources.

On a de plus en plus de réseaux féminins, de rencontres comme le Women’s Forum : est-ce seulement du politiquement correct ou ces femmes dirigeantes et porte-drapeaux de la solidarité féminine incarnent-elles ces valeurs ?

Annik Houel : Je ne sais pas si elles incarnent au quotidien ces valeurs de solidarité féminine, en revanche, elles démontrent qu’elles sont des femmes et qu’elles ont réussi à se hisser au sommet. Par contre, je suis moins optimiste quand il s’agit de parler de solidarité féminine qui existerait entre toutes les classes sociales. Je pense que les femmes sont des humains comme les autres, et qu’elles n’échappent pas non plus à la fascination pour l’argent. Il n’y a aucune raison que les femmes soient meilleures parce qu’elles donnent la vie. Il faut arrêter avec cette thèse naturaliste.

Christine Lagarde est souvent perçue comme un vrai modèle, au-dessus des genres. Vous évoquez l’importance des mentors féminins : en est-elle un selon vous ?

Annik Houel: Christine Lagarde est quelqu’un de très intéressant. C’est une anecdote mais quand elle a été Ministre, sa maman ne voulait pas qu’on l’appelle Madame la Ministre, et elle l’a fait, ce qui montre les limites de sa position. C’est un mentor, mais en même temps, c’est sur un modèle très masculin, notamment dans l’habillement. Mais elle fait partie d’une génération relativement ancienne. Quand elle était PDG, elle avait remarqué que les hommes étaient fous des voitures de fonction, contrairement aux femmes. Elle possède une finesse d’analyse et sait où elle en est.

Vous dîtes que la mixité est très positive (moins de cas de harcèlements dans les univers mixtes), mais pas suffisante. Jusqu’où faudrait-il aller selon vous ?

Annik Houel : Pour moi la mixité ne doit pas se faire au détriment de tout le monde. Les jeunes et les femmes sont touchés de plein fouet par la crise, et le salaire des jeunes hommes est lui-aussi nivelé par le bas dans les domaines traditionnellement féminins. On peut espérer que la mixité va s’instaurer dans les classes dirigeantes, mais les choses semblent bien enclenchées. Cela n’est pas significatif de ce qui se passe entre les cadres et les dirigeantes, mais l’image est importante.

@Paojdo

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