Quand les techniques de leadership s’inspirent du Jazz

Leadership et Jazz : Quand les techniques de leadership s'inspirent du Jazz

Et si le Jazz nous permettait de devenir de meilleures leaders? Evelyne Kuoh, fondatrice de Executive Art nous invite comme dans l’improvisation jazz à accueillir le changement pour mieux libérer notre créativité. Voie vers un nouveau Leadership ? Eléments de réponse.

Evelyne KUOH est fondatrice et dirigeante de Executive Art, une start-up qui développe des synergies art et entreprises dans le but de stimuler la créativité, l’innovation et développement humain au sein des équipes dirigeantes. Une vingtaine d’années d’expérience post HEC dans des fonctions marketing, menées en parallèle avec sa pratique du chant lyrique, ont nourri en elle l’idée de faire de sa passion son métier : créer des fertilisations croisées entre les compétences du monde des arts et de celui de l’entreprise. Rencontre.

Business O Féminin: Vous animez des formations au Leadership en vous inspirant du Jazz, expliquez-nous les raisons de cette alliance iconoclaste?

Evelyne Kuoh: Pour moi, le Leadership est l’art de diriger : partager sa vision, son inspiration pour conduire un groupe vers un objectif commun, avec des moyens adaptés. Aujourd’hui où on demande aux leaders d’être innovants, où les modes relationnels se réinventent au sein des entreprises, savoir renouveler son inspiration est un plus. Le jazz est plus qu’une métaphore pour exprimer ce qu’est l’organisation. Les groupes de jazz sont réellement des organisations conçues pour l’innovation, et les clés opérationnelles du jazz peuvent s’appliquer à d’autres types d’organisations désireuses d’innover. C’est ce que démontre Frank Barrett dans son excellent livre « Yes to the mess – Surprising leadership lessons from jazz*» que j’ai adapté en français

Mini Guide Leader

Business O Féminin: Pourquoi un leader doit-il savoir désapprendre?

Evelyne Kuoh: Pour être innovant, un leader doit sortir de ses routines, de ses conditionnements, changer de perspective, explorer des voies nouvelles. C’est ce qui distingue le leader du manager, dont le rôle consiste essentiellement à reproduire le modèle pour le rendre pérenne. Cela suppose au préalable la maîtrise parfaite de son domaine de compétence. Les meilleures entreprises, et je pense notamment aux GAFA, prônent cet état d’esprit, penser en-dehors du cadre pour trouver des voies innovantes. Être toujours prêt à remettre en question ce qui semble acquis ou évident (une position dominante, un savoir-faire…) pour aller plus loin, en se posant sans cesse la question du “Pourquoi” ?

Business O Féminin: Le leader doit souvent gérer des situations incertaines, parfois le “chaos” mais selon vous ce sont des moments d’opportunités pourquoi?

Evelyne Kuoh: L’incertitude est partie intrinsèque de la vie de l’entreprise, dans un environnement de plus en plus complexe et impermanent. Lorsqu’on se prépare à accueillir le changement, autrement dit lorsqu’on est dans le lâcher prise, on s’ouvre aux opportunités qui se présentent. On cesse de voir l’imprévu comme une erreur à éliminer, on le voit comme une possibilité de faire autrement. Ce modèle d’entropie créatrice courant dans le jazz pourrait être introduit en entreprise.

Business O Féminin: Peut-on apprendre à être un leader? (ex personne sans charisme)

Evelyne Kuoh: C’est un apprentissage sur la durée pour faire émerger en soi les qualités qui font un bon leader. Cela dépasse le cognitif, le savoir, et même le savoir-faire. Cela se situe plus dans le savoir-être, les « soft skills » pour utiliser un mot anglo-saxon. C’est la raison pour laquelle nous concevons nos séminaires sur l’expérientiel, les mises en situation. L’impact est beaucoup plus durable qu’un exposé en mode « power point. »

Business O Féminin: Comment devient-on un bon leader?

En apprenant à se connaître, en exprimant ce qu’il y a de plus authentique en soi, en dépassant la maîtrise technique pour s’appuyer sur les talents : les siens, c’est-à-dire ce qu’on aime faire et qu’on fait sans avoir besoin de faire des efforts, mais aussi ceux des autres, c’est-à-dire l’intelligence collective.

Business O Féminin: Un leader doit par définition gérer l’humain dans sa diversité, quelles sont les “best practices” en la matière?

Pour moi, il s’agit d’éveiller chez les managers :

– l’énergie de soulever des montagnes

– l’audace d’entreprendre/de créer

– la curiosité de faire différemment

– la force d’accepter

– le goût du changement

– l’indulgence en équipe, la tolérance à l’erreur

– la bienveillance

Business O Féminin: Comment conjuguer art de l’improvisation et nécessaires contingences ?

Evelyne Kuoh: L’improvisation c’est tout sauf improvisé. Il faut un minimum de contraintes, une grande maîtrise technique donc beaucoup de travail, pour pouvoir improviser, c’est-à-dire sortir du cadre. Pour les musiciens de jazz, le cadre est une partition généralement très sommaire qui permet une grande liberté créatrice. En entreprise, des processus trop rigides auront tendance à brider les initiatives individuelles et par là-même à limiter le potentiel d’innovation. Il faut trouver un bon compromis entre des règles nécessaires pour fonctionner ensemble et la flexibilité qui libère la créativité individuelle.

Business O Féminin: Les caractéristiques d’un bon leader ont-elles changé depuis 30 ans et en quoi ? 

Evelyne Kuoh: Les caractéristiques des leaders correspondent aux besoins des organisations à un moment donné et s’inscrivent donc dans une temporalité. Très schématiquement, je dirais que nous sommes passés du fordisme, avec un leadership très hiérarchique, descendant, à des entreprises qui fonctionnent plus en mode projet, où il s’agit moins de reproduire l’existant que de favoriser l’innovation. La ligne hiérarchique devient moins prégnante et le leader doit susciter/encourager l’initiative, mais surtout donner du sens pour obtenir l’adhésion de ses équipes. Dans nos séminaires, nous offrons aux participants l’opportunité d’expérimenter le leadership alterné qui prévaut dans les groupes de jazz, une expérience toujours très enrichissante

Business O Féminin: Quels sont les leaders les plus remarquables aujourd’hui ?

Evelyne Kuoh: La difficulté aujourd’hui avec la démultiplication de l’info par les réseaux sociaux, c’est l’abondance des modèles, le marketing de soi prenant parfois le pas sur l’exemplarité. Personnellement, j’ai du mal avec une valorisation qui se base presqu’exclusivement sur des critères quantitatifs (valorisation de leur entreprise, salaire annuel, nombre de followers…).

Business O Féminin: Un dernier conseil aux futurs leaders?

Evelyne Kuoh: Passer d’une logique « être le meilleur » à une logique « être soi» dans toute sa singularité. Ce que je souhaite apporter en entreprise, c’est favoriser l’expression de soi, pour plus d’engagement et donc plus de performance.

*« Jazz et Leadership – Osez l’improvisation » Editions Diateino, 2014

@veroniqueforge

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