Axelle Lemaire : son combat pour la French Tech

Axelle Lemaire: son combat pour la French Tech

Ardente avocate de la French Tech dans le monde entier et notamment à Londres où nous l’avons rencontrée, la secrétaire d’Etat en charge du numérique défend les avancées de l’écosystème Tech français tout en ne minimisant pas le chemin qu’il reste à parcourir pour que la France devienne véritablement une “Start-up nation”. Interview sans langue de bois avec Axelle Lemaire.

Vous avez inauguré un French hub à Londres au mois d’avril. Quel est l’objectif tant cela semble paradoxal car cela va encore plus encourager la fuite des cerveaux ?

Axelle Lemaire : Non, je pense qu’il n’est plus l’heure d’opposer un pays à un autre dans le monde de l’économie numérique et des start-ups et de l’innovation qui va si vite. Les personnes qui s’impliquent dans ce type de projets entrepreneuriaux sont des gens qui sont le plus souvent mobiles et qui passent d’un pays à un autre. Et qui surtout, si elles ont une base de domiciliation, ont une projection à l’international. Il ne s’agit donc pas d’opposer Paris à Londres. Il s’agit de faire rayonner la French Tech à l’international. Soit 17 métropoles qui ont été labellisées pour la qualité de leur écosystème et leur potentiel de croissance avec une formidable dynamique territoriale.

Concrètement, que vont-ils retrouver dans ces French Tech Hub à l’étranger ?

Axelle Lemaire : Les entrepreneurs français, quand ils arrivent dans un pays étranger, peuvent avoir besoin de rencontrer des confrères, de trouver des mentors, des sponsors… Mais aussi de potentiels clients, des fournisseurs et pourquoi pas des investisseurs. Donc le réseau de la French Tech, c’est un network qui doit aussi s’étendre à l’international.

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C’est souvent plus facile pour une start-up de s’internationaliser quand elle débute à Londres ?

Axelle Lemaire : Je pense que le sujet du financement y est pour beaucoup. Je ne nie pas les difficultés réglementaires qui subsistent pour des créateurs d’entreprises en France, mais je pense que l’on surestime très largement la facilité à créer une entreprise dans d’autres pays. Et notamment aux Royaume-Uni. Un entrepreneur français de Londres m’expliquait qu’il avait mis 15 minutes à créer son entreprise sur internet mais deux mois pour ouvrir son compte en banque.

Et en France ? French Tech

Axelle Lemaire : Dans les statistiques qui me sont soumises la France est dans le top 3 en Europe et a très nettement progressé. Il est désormais plus rapide de créer son entreprise qu’en Allemagne.

On parlait de financement, l’une des raisons de l’attractivité, ce sont des financements beaucoup plus importants : VC, Business angels… Comment la France peut-elle lutter face à cela ?

Axelle Lemaire : C’est une réalité et les raisons sont culturelles parce que dans le monde du financement à partir du moment où les plus grands fonds sont américains et où la langue des affaires est l’anglais, et bien oui les français sont pénalisés ! Car quand on dit langue, on dit entrée dans un système de valeurs qui est de tradition anglo-saxonne. Finalement, les investisseurs américains ont l’impression de prendre plus de risques quand ils vont en Europe continentale que quand ils vont aux Royaume-Uni car c’est en anglais avec un système de droit qu’ils connaissent, des réseaux personnels et professionnels qui sont plus tissés. Pourtant, il faut noter que la situation est plutôt positive en ce moment. Les chiffres du développement du capital risques en France sont bons. Entre 2014 et 2015, le volume des transactions a augmenté de 100%.

Mais d’où partions nous ? French Tech

Axelle Lemaire : Il y a une progression très forte qui est inédite. On a retrouvé les chiffres pré-crise financière. Nous avons aussi retrouvé les niveaux pré-bulle internet et nous sommes face à des investisseurs français qui sont beaucoup plus ouverts à l’international et qui accepte beaucoup plus d’accompagner des start-ups qui connaissent une croissance forte à l’international. Ce qui suppose de faire rentrer des investisseurs étrangers. L’une des réponses, c’est aussi de renforcer l’attractivité de la France.

Mais globalement, il est désormais de plus en plus possible pour une start-up française de rester en France et d’attirer des fonds étrangers. On cite souvent “La Ruche qui dit oui” à cet égard. Mais il y a aussi l’exemple d’investisseurs français qui co-financent des start-ups avec des fonds étrangers. La BPI, joue également un rôle très important. Elle vient en garantie publique, pérenne de l’investissement privé quelque qu’il soit, fonds français ou étranger, à l’image du modèle israélien qui a permis l’essor de la Tech Nation.

La France crée aujourd’hui le plus d’entreprises en Europe. Mais quand on regarde dans le détail, finalement ce sont des entreprises unipersonnelles, des entreprises qui pour certaines meurent au bout de trois ans. On arrive peu à créer des “Unicorns”. Que doit-on mettre en place pour créer ces licornes de demain ?

Axelle Lemaire : Ce constat je le partage mais il est à nuancer. En 2015, il y avait 7 licornes, en 2014, il n’y en avait qu’une c’était Blablacar. Le nombre de start-ups qui lèvent des fonds de plus de 100 millions d’euros est croissant et totalement nouveau en France. Cela crée un cercle vertueux d’autant plus qu’il y a des figures entrepreneuriales qui s’investissent personnellement dans l’écosytème français avec cette idée qu’ils rendent à l’écosystème français. Je pense à Xavier Niel, Marc Simoncini, Pascal Cagni… C’est important d’avoir des figures tutélaires qui croient en la France comme terre d’entrepreneuriat. Et qui mettent en avant leur succès pour dire aux générations qui arrivent oui vous pouvez créer votre entreprise.

Vous avez tout à fait raison sur la pérennité de ces entreprises. Il y a beaucoup d’auto-entrepreneuriat et l’une des raisons de l’explosion du chiffre de création d’entreprises s’explique comme cela. Après oui, il y a un cap. Celui des trois ans, qui est très difficile à passer notamment quand on est entrepreneur en banlieue, quand on est une femme ou en Province, c’est la double peine.

Beaucoup d’entreprises qui débutent se retrouvent avec des contrôles fiscaux dès la première année. Cela ne pousse pas à cette culture du risque que vous appelez de vos vœux. Ne faut-il pas faire aussi des changements structurels pour être plus flexible sur les start-ups ?

Axelle Lemaire : Il y a un véritable enjeu d’acculturation administrative à cette culture start-up qui exige d’apporter des réponses simples, très rapides et qui sont adaptés à des enjeux qui sont celles d’une forte croissance pour une entreprise de petite taille. Je travaille par exemple avec la Banque de France et notamment la CPR pour être plus adaptés aux start-ups de la Fintech parce que quand on est une plateforme de crowdfunding qui est dans un environnement très concurrentiel, cela n’a rien à voir avec un mastodonte bancaire qui doit apporter des garanties. On avance la dessus au sein des administrations.

Sur le sujet fiscal, les retours que j’ai c’est que l’on parle du crédit impôt recherche ( CIR) qui est une exemption faite pour les entreprises qui font le choix d’investir dans la recherche et le développement notamment les entreprises de la Tech. Il se trouve que sur ce crédit impôt recherche, il y a énormément de fraudes et que pour lutter contre la fraude il faut comprendre le fond des dossiers, il faut les expertiser, les contre-expertiser tout cela prend du temps mais cela prend trop de temps.

Ce qui est très dommageable, c’est que les décisions administratives concernant la possibilité de bénéficier du CIR arrivent tard, une fois que les choix d’investissement ont été opérés et engagés. C’est là-dessus que nous devons travailler. Mais attention la France a la politique la plus attractive en matière de soutien fiscale à l’innovation en Europe.

Parlons un peu des femmes, il y a quelques start-ups fondées par des femmes mais elles sont encore peu. Quelles sont les mesures à mettre en place pour inciter plus de femmes à lancer leur business ?

Axelle Lemaire : Le travail d’un Media comme Business O Féminin est fondamental pour donner confiance aux femmes, pour les aider à créer des réseaux et pour qu’elles se projettent dans des modèles qui montrent qu’il est possible de réussir dans le monde des affaires et l’entreprenariat et aussi parce que c’est une aventure entrepreneuriale menée par une femme.

Merci, et sinon ?

Axelle Lemaire : Ce que je vois quand je fais mes déplacements sur la French Tech, c’est qu’il y a beaucoup d’hommes. Donc oui, il y a des exceptions sur les 49 French Tech Pass* octroyés l’année dernière, il y a seulement deux femmes. Je trouve que c’est inquiétant car j’ai l’impression que l’on régresse. Ce que l’on considérait comme acquis notamment la présence des femmes dans les domaines scientifiques et dans l’ingénierie, ne se retrouve pas dans le secteur des technologies et du numérique.

*C’est un programme d’accélération des start-ups avec un soutien dédié des entreprises les plus prometteuses en France.

Parmi les dispositifs publics mis en place, je travaille notamment à l’élaboration d’un plan de mixité numérique avec ma collègue ministre aux droits des femmes. Notamment pour aider à la formation et aux changements culturels car j’ai le sentiment qu’il est très ancré dans l’imaginaire des petites filles, et cela démarre très tôt. C’est donc très tôt qu’il faut faire comprendre à ces femmes en devenir qu’elles peuvent avoir leur place et la créer dans l’univers entrepreneuriale.

Nous avons également introduit l’apprentissage du code. Je finance beaucoup d’initiatives pour l’apprentissage du code en dehors des heures de cours. Enfin, nous avons lancé la grande école du numérique, un programme de formation aux outils du numérique qui permettra de mettre des milliers de jeunes dans l’emploi alors qu’ils n’ont pas de diplômes. Et là nous avons introduit un quota de 30% pour les femmes.

Dans le projet de loi, il y avait le principe d’ouverture des datas notamment avec le service public des données dans l’administration. C’est le nouveau pétrole ?

Axelle Lemaire : La loi pour la République numérique a sa première partie entièrement dédiée à l’ouverture des données et la circulation des savoirs qui sont une exigence démocratique. La transparence de l’action publique est une source potentielle d’innovation formidable. Je veux faire de la France un pays leader dans l’économie et dans la société de la donnée et le mot clé c’est ouverture, diffusion et réutilisation. La donnée c’est l’inverse du pétrole parce que plus elle est diffusée, plus elle est accessible et plus elle prend de la valeur. Il faut rendre accessible ces données pour les entreprises innovantes. Car effectivement, les sources d’innovation à venir viendront de cette possibilité d’exploiter ces données avec évidemment des garde-fous.

Vous êtes depuis deux ans au gouvernement, vous êtes une femme jeune. Quel est votre bilan de ces deux années ?

Axelle Lemaire : Je suis nouvelle en politique. J’ai vécu longtemps à l’étranger donc lorsque j’ai intégré le gouvernement, j’ai découvert un monde que je connaissais mal. J’ai à la fois été confrontée à l’épreuve du réalisme. Tous les jours essayer de garder en mémoire ce pourquoi je me suis engagée en politique dès le départ. La volonté de changer les choses et d’améliorer la vie des gens. Au bout de deux ans, c’est usant, on se remet en cause en permanence. C’est une bataille continue.

Le politique est tellement affaiblie aujourd’hui, peu légitime que d’autres systèmes que cela soit les administrations, les lobbys, des corps intermédiaires entrent dans cet espace pour avancer des intérêts qui ne sont pas ceux que les responsables politiques souhaitent forcément mettre en avant. Pourtant, si je devais résumer ces deux ans : Exaltant ! On a les outils en main pour réformer un pays qui en a besoin mais qui a un socle de valeurs et d’intelligence extraordinaire.

Véronique Forge

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