Agnès Letestu ou comment suivre son étoile

Agnès Letestu ou comment suivre son étoile
Rencontre avec l’une des étoiles les plus brillantes de sa génération.

C’était le 10 octobre dernier. Sous les traits de « La Dame aux Camélias », Agnès Letestu clôturait une carrière magistrale sur la scène de l’Opéra Garnier. Dans ce temple des pointes et des pas de bourrée, les danseurs tirent leur révérence à 42 ans et demi. C’est la règle. La ballerine m’a reçue dans sa loge, envahie par un amas impressionnant de chaussons. Avec au beau milieu de ce petit boudoir, un imposant portrait de Rudolf Noureev à qui la danseuse doit son premier grand rôle.

D’où vient votre passion pour la danse ?

Cette passion est née lorsque j’avais 8 ans. J’ai vu un ballet diffusé à la télévision : « Le Lac des Cygnes » avec Margot Fonteyn et Rudolf Noureev. Au départ, je ne savais pas tellement ce qui m’attirait. Je voulais porter les mêmes costumes, avoir le rôle, faire la même chose que Margot Fonteyn, danser avec Noureev… Ce n’était pas très clair. Je pense quand même avoir d’abord été attirée par les costumes. C’était quelque chose de global en fait… Du coup, on m’a inscrite aux cours de danse du conservatoire de Saint-Maur. Cela m’a beaucoup plu. Mon professeur m’a suivie pendant quelques années, et, vers l’âge de 12 ans, m’a proposé d’aller à l’Opéra de Paris. J’ai été admise. À partir de là, les concours, les petits rôles de fin d’année se sont enchaînés de manière tout à fait fluide. Je suis ainsi rentrée dans le corps de ballet en 1987.

Vos parents n’appréhendaient-ils pas que vous vous lanciez dans ce domaine ?

Mes parents m’ont encouragée dans ce que j’avais envie de faire. À partir du moment où le professeur leur disait : « elle est douée, il faut la présenter à l’Opéra », ils ont pensé : « c’est une structure, c’est du sérieux, il y a un suivi ». Ils y sont allés avec confiance, mais sans en attendre plus que cela. Il n’y avait pas d’autres danseurs dans ma famille. Ce n’était pas non plus un rêve de danseuse ratée de la part de ma mère.

Vous souvenez-vous de votre premier jour à l’Opéra ?

J’étais extrêmement impressionnée. Je n’étais jamais rentrée dans un théâtre comme celui-ci, avec un véritable passé. Lorsque, petite fille, j’allais dans des salles modernes, style gymnase amélioré, je pensais que c’était cela la danse. Mais en arrivant à l’Opéra, j’ai été subjuguée ! On sent que des générations de danseuses sont passées dans les studios. Puis, c’était magique de croiser de grandes étoiles à qui je m’identifiais. Au départ, je ne voulais pas forcément faire de la danse mon métier. Mais, en voyant ce que l’on pouvait devenir en évoluant à l’Opéra, en observant plusieurs danseuses à différentes étapes, j’ai très vite voulu rester !

En 1989, Brigitte Lefèvre, alors déléguée à la danse au ministère de la Culture, vous choisit pour représenter la France à l’Eurovision de la danse, compétition que vous remporterez. En quoi ce concours vous a-t-il permis de vous faire remarquer ?

À l’époque, j’étais coryphée (deuxième échelon – sur quatre dans la hiérarchie du corps de ballet de l’Opéra). Brigitte Lefèvre était en charge de choisir la candidate française : il fallait désigner quelqu’un de moins de 18 ans, de talentueux, etc. Elle est venue assister à mon premier concours de promotion. C’est à cette occasion qu’elle m’a désignée. Il y avait énormément de presse pour ce concours Eurovision. Cela m’a donc permis de me faire connaître pour moi-même même si je n’étais pas étoile. Je faisais simplement partie du corps de ballet. Après avoir gagné ce concours, j’ai par la suite été invitée dans différents pays pour faire des galas, des spectacles, etc. L’année d’après, j’ai remporté le concours international de ballet de Varna, ce qui a confirmé cette visibilité à l’étranger.

Puis, il y a eu cette conversation un petit peu incroyable avec Rudolf Noureev sur le parking de l’Opéra !

Rudolf Noureev avait déjà eu l’occasion de me voir danser quand je suis rentrée en 1987 car il était directeur de la danse à ce moment-là. Ensuite, il est parti avant de revenir en tant que chorégraphe principal. C’est à cette époque qu’il a décidé de monter « La Bayadère ». Il voulait me donner le rôle d’une jeune fille, Gamzatti. Mais la situation était problématique car je ne faisais pas partie du groupe qui préparait « La Bayadère » ! C’est dans ce contexte qu’il m’a attrapée alors que je passais par le parking de l’Opéra. Il est sorti de sa voiture, m’a appelée et m’a dit : « j’aurais bien aimé que vous fassiez “La Bayadère”, le rôle de Gamzatti, mais vous n’êtes pas dans le bon groupe. » Là, je lui ai répondu : « mais changez-moi de groupe, l’année n’est pas commencée ! » « Ah ! Je vais faire ça ! » m’a-t-il rétorqué. Mais ce n’était pas si simple.

Rudolf Noureev avait évidemment un poids énorme du fait de son passé et de son charisme, mais il n’était plus directeur de la danse. En tant que chorégraphe, il pouvait avoir des souhaits, mais ce n’était pas forcément évident pour lui de les imposer. Il s’est battu pour moi. Il m’a fait changer de groupe, j’ai pu faire « La Bayadère ». Cela m’a sortie de manière évidente du lot. À l’époque, j’étais sujet, l’échelon supérieur du corps de ballet, et il m’a donné un rôle d’étoile ! Il m’a fait répéter, m’a donné beaucoup de conseils. Malheureusement, il ne m’a pas vue danser car il était trop malade…

Comment était-ce de travailler sous la direction de Rudolf Noureev ? Beaucoup le décrivent comme un despote !

Ah oui ! C’était un despote ! Mais, en même temps, ce qu’il disait était toujours bon, était toujours juste. Il avait l’art de donner une indication qui débloquait tous vos problèmes techniques ou artistiques. Il parlait un peu russe, un peu anglais, quelques mots de français mais parvenait très bien à se faire comprendre. Il était expéditif, il n’avait pas de patience. S’il n’était pas content, il pouvait balancer un thermos de thé. C’est le genre de comportement qui serait absolument impensable aujourd’hui : le despote total qui n’avait pas la notion du respect. Maintenant, il aurait vingt-cinq procès pour mauvais comportement ! Mais je dois dire que c’était efficace et puis, cela avait le mérite d’être franc. Au moins, on savait où en en était. On ne tournait pas autour du pot !

Le rôle que vous avez dû interpréter dans « La Bayadère », Gamzatti, est celui d’une femme prédatrice, alors qu’à l’époque, vous étiez plutôt timide !

À partir du moment où on m’a donné des rôles, c’était toujours ceux de femmes vénéneuses, extrêmement dominatrices. De mon côté, j’étais archi timide ! Interpréter Gamzatti était assez dur. Il y a une partie dansée très  compliquée techniquement, ainsi qu’une partie jouée en chaussures, sans pointes. C’est vraiment du jeu de scène, de la pantomime. Il faut donc être extrêmement sûre de soi, avoir de l’aplomb. Pour couronner le tout, Gamzatti gifle Nikia, le personnage principal. Je me retrouvais donc sujet, jeune, n’ayant pas un caractère très affirmé, à devoir donner une claque à Isabelle Guérin (danseuse étoile) !

Vous devenez danseuse étoile en 1997, après une représentation du « Lac des Cygnes ». Que s’est-il passé dans votre tête à ce moment-là ?

Avant d’avoir ce titre, j’avais déjà les rôles d’étoile. Je dansais avec les danseurs étoiles, ils acceptaient de danser avec moi. D’ailleurs, quand j’ai été nommée étoile, les gens à l’étranger m’ont dit « mais je ne comprends pas, tu ne l’étais pas déjà ? ».

En fait, pendant longtemps, ce titre d’étoile ne venait pas, à tel point que j’ai cru pendant un moment que c’était parce que je n’étais pas assez bonne danseuse. Donc, au bout d’un certain temps, j’ai arrêté d’y penser car cela commençait à nuire à mon moral et à mon travail. J’ai pensé : « j’ai les rôles, je danse, je fais mon maximum. » Par la suite, j’ai compris ce qui s’était passé. Le directeur général a voulu réduire le nombre d’étoiles pour en faire un titre plus élitiste. Pour cela, il a fallu attendre notamment que suffisamment de filles partent à la retraite. Conséquence, j’ai dû patienter de 1993 à 1997 afin que des places se libèrent !

Du coup, lorsque j’ai appris que j’étais étoile, j’ai vraiment pris cette nouvelle comme une vague en pleine figure. On m’annonçait quelque chose dont je rêvais depuis des années mais que j’avais arrêté d’espérer ! J’ai eu l’impression de ne plus rien entendre, d’être abasourdie ! D’autant que les danseurs du corps de ballet autour de moi se sont mis à hurler de joie ! C’est l’un des plus beaux jours de ma carrière.

Comment s’y prend-on pour interpréter un personnage en dansant ? Comment vous inspirez-vous ?

La première chose à faire bien sûr est de lire l’histoire. Ensuite, il faut faire des recherches sur les autres interprétations, voir les différentes versions, regarder les films éventuels, etc. Il faut se projeter dans le rôle, être consciente de l’éducation du personnage. Prenons « Roméo et Juliette ». Juliette est une princesse, éduquée par sa nourrice. La manière de regarder la mère au XVe siècle n’est donc pas la même que maintenant. Tous ces jeux de regards sont très importants, ils permettent de se positionner par rapport aux personnages. À un moment donné, Juliette danse avec son cousin. C’est comme un frère pour elle,  ils ont joué ensemble, se sont bagarrés. Elle ne peut pas danser avec lui comme elle le fait avec Roméo.

Il faut donc créer un rapport aux autres, et ne faire aucun geste gratuit. Chaque mouvement doit avoir un sens afin que le public puisse comprendre ce que l’on veut dire. Si on est ému, si on est en colère, il faut que cela ressorte.

Spectacles Agnès Letestu

Il vous est même arrivé de danser devant votre neveu lorsqu’il était plus jeune. Vous vous disiez : « s’il comprend, le public comprendra ! ».

J’ai arrêté car mon neveu a 20 ans maintenant ! Mais effectivement, il y a quelques années, je lui montrais mes pantomimes. Quand il me répondait « je ne comprends rien », je me disais alors qu’il me fallait tout revoir. Ou bien, lorsqu’il venait me voir en spectacle, qu’il voyait un personnage se cacher, s’il me disait : « ah bah tu parles d’une cachette ! », je pensais « si un gamin de 8 ans réagit comme cela, il faut créer autre chose ! ». En fait, il faut essayer de se retrouver avec des réactions basiques d’enfant, car cela correspond à peu près au niveau du public qui ne connaît pas tellement l’univers de la danse. C’est très important, car si les spectateurs décrochent, c’est foutu !

Vous mesurez 1 mètre 77. Paradoxalement, cette grande taille ne vous a pas avantagée au début de votre carrière !

J’étais un peu toute seule à être si grande et du coup, je dépassais ! C’était problématique car à l’époque il y avait beaucoup de ballets de Rudolf Noureev. Ce dernier avait l’habitude de mettre les grandes devant lorsque l’on faisait les lignes de corps de ballet. C’est pour un effet de perspective : si la grande est devant et la petite au fond, cela donne l’impression d’une scène plus grande. Par conséquent, comme j’étais nouvelle, on hésitait toujours à me mettre devant. Je suis ainsi restée un an et demi les fesses par terre car on ne me mettait pas sur scène. Par la suite, lorsque je suis devenue sujet, puis danseuse étoile, ce n’était plus un problème.

 À quoi ressemble le quotidien d’une danseuse étoile ?

Les journées commencent toujours par un cours d’une heure et demie. C’est la mise en jambes, c’est non négociable, c’est l’échauffement. On en a besoin. C’est comme prendre son petit déjeuner, sa douche ou se réveiller. Viennent ensuite les répétitions. Elles peuvent durer jusqu’à six heures. Tout dépend de ce que l’on a à travailler.

En général, les rôles de soliste requièrent deux heures de répétition. Puis, on répète les pantomimes, les relations avec le corps de ballet, les choses de groupe. Là, on danse moins, on piétine un peu plus. Mais notre présence est nécessaire pour que tout puisse se mettre en place. Les jours de répétition, on est libre vers 19 heures. Mais lorsqu’il y a spectacle le soir, on finit beaucoup plus tôt, à 14 ou à 16 heures. On se repose, on mange. Je peux dormir car j’ai un lit dans ma loge. Et spectacle le soir.

Vit-on des moments de solitude lorsque l’on est danseuse étoile ?

On ressent parfois la solitude avant d’entrer en scène. Pour ma part, je ne suis pas très traqueuse. Mais il peut y avoir des instants où l’on doute, on se dit que cela va être dur, fatigant. On se demande si on va y arriver, si on va tenir ses équilibres. On est libéré une fois en scène. Mais juste avant, il y a un moment d’appréhension. Par exemple, pour moi, l’entrée de « La Belle au Bois Dormant » est un souvenir flagrant ! Il y a un début musical. On est d’abord tous en coulisses.

Puis, les petites amies rentrent, le roi, la reine rentrent, tout le monde entre en scène. La musique monte. Je suis seule en coulisses. Enfin, ce n’est pas moi, mais mon personnage Aurore. À cet instant, je me dis « il n’y a plus personne, je suis toute seule, si je ne rentre pas, personne n’ira le faire pour moi. » Elle est là la solitude. C’est ce que l’on a pu me décrire des concertistes seuls face à leur piano. C’est vraiment une partie difficile. Mais cette solitude est relative puisque lorsque l’on arrive sur scène, on a le regard des autres.

Vous avez une deuxième passion : la création de costumes. Vous vous y êtes d’ailleurs frottée plusieurs fois en parallèle de votre carrière de danseuse.

Lorsque j’ai commencé à faire des galas en tant que soliste à l’extérieur de l’Opéra, il a fallu que je me mette à décorer mes propres costumes. À l’époque, c’était juste quelques paillettes sur un tutu normal.

Puis, j’ai eu l’occasion de faire les costumes de créations de José Martinez (aujourd’hui directeur du Ballet National d’Espagne, et qui fut par ailleurs son partenaire de danse privilégié pendant des années). Il y a eu « Scaramouche » pour l’école de danse. Cela représentait à peu près 40 costumes. Ensuite, on m’a demandé de faire « Les Enfants du Paradis ». C’était une grosse production : 300 costumes. Puis, j’ai eu des demandes de l’extérieur : j’ai fait les costumes d’un « Marie-Antoinette » pour l’ Opéra de Vienne. J’ai fait une robe de mariée pour une danseuse étoile et également des costumes pour des danseurs contemporains. Et ce n’est pas fini. Je dois faire les costumes d’un « Roméo et Juliette » produit à l’étranger pour 2015.

Petite fille, quand on s’inscrit pour faire de la danse, les costumes ne sont pas forcément extraordinaires. N’avez-vous pas été déçue lors de vos premiers cours ?

Si, c’était décevant ! Comme il n’y a pas beaucoup de budget dans les écoles, c’était vraiment de la customisation. On rajoutait trois rubans à nos tenues de tous les jours, donc c’était vraiment limité ! J’avais toujours envie que ce soit plus spectaculaire, plus festif !

Vous avez pris votre retraite officielle le 10 octobre dernier. Comment avez-vous préparé votre dernière représentation ?

J’ai travaillé jusqu’au bout, comme d’habitude, sans me dire « de toute façon, je ne le ferai plus, ce n’est pas la peine ». J’ai juste eu une petite émotion lors de mon ultime répétition. La dernière représentation était formidable. J’étais face à des connaisseurs. C’est un public qui applaudit tout le spectacle, bien sûr, mais aussi particulièrement la danseuse qui s’en va. Je voyais bien que certaines personnes me regardaient d’un air un peu mal à l’aise, comme si elles se disaient « elle va s’arrêter, comment elle vit ça, elle doit être super mal ». Mais de mon côté, j’étais complètement confiante.

En fait, je me suis tout de suite dit « je n’arrête pas de danser non plus ». C’est juste une étape par rapport à un contrat de danseuse étoile et par rapport à des règles établies. Je vais revenir danser à l’Opéra en tant qu’invitée.

Vous avez choisi « La Dame aux Camélias » pour ce dernier spectacle. Est-ce le rôle que vous préférez ?

Je dirais que c’est le rôle de ma vie. C’est un rôle théâtral, il n’est pas question uniquement de danse, mais également de comédie, de jeu de scène. Surtout, le chorégraphe John Neumeier était là pour me faire travailler le rôle. « Roméo et Juliette », « Giselle » sont des ballets formidables, mais les créateurs ne sont plus là pour nous chapeauter. Là, John Neumeier est vivant, sa chorégraphie est géniale, la mise en scène est d’une intelligence prodigieuse. Il a une direction d’acteurs incroyable.

Après, il y a beaucoup d’autres rôles qui m’ont plu. « Le lac des cygnes » a été mon ballet fétiche, celui grâce auquel j’ai été nommée étoile. C’est aussi le premier spectacle que j’ai vu à la télévision. Ce rôle est celui que j’ai le plus dansé, il me colle à la peau !

Agnes Letestu

Pourquoi les danseurs et danseuses étoiles doivent-ils prendre leur retraite à 42 ans et demi ?

Auparavant, les femmes partaient à la retraite à 40 ans, les hommes à 45 ans. Il y avait cette espèce d’injustice datant du début du XXe siècle. Il faut savoir que jusqu’à 1930, les danseuses étaient en fait les courtisanes des abonnés de l’Opéra. Leur salaire était absolument misérable mais elles étaient entretenues, ce qui n’était absolument pas le cas des danseurs. En outre, avec les périodes des guerre, les hommes ont dû partir au front. Pour ces deux raisons, comme il leur fallait rattraper leurs années, au niveau des points retraite notamment, ils avaient l’autorisation de danser jusqu’à 45 ans. Une mesure complètement illogique car, en danse, un homme s’use plus vite qu’une femme ! Les sauts appuient sur les articulations, les portés leur détruisent le dos. Pour les femmes, les pointes ont un effet beaucoup plus léger.

Pendant des années, personne n’a remis cette règle en question. Jusqu’au jour où, il y a à peu près dix ans, une danseuse, retraitée, est allée aux prud’hommes. Du coup, ils ont trouvé une solution en coupant la poire en deux : 42 ans et demi pour tout le monde.

En tant que danseuse, vous avez toujours aimé les rôles théâtraux. Jouer la comédie, est-ce quelque chose qui vous attire maintenant que vous êtes une jeune retraitée de l’Opéra Garnier ?

Cela pourrait m’intéresser mais je reste très humble par rapport à cette question. En tant qu’interprète, je maîtrise la gestion du trac, la mémoire, le comportement en scène. La voix est le dernier cran à passer. Certains professionnels du théâtre, comme le metteur en scène Jean-Laurent Cochet, m’encouragent. Mais je n’ai pas eu le temps jusqu’à présent de m’y consacrer de manière régulière.

En ce moment, vous faites répéter « La Belle au Bois Dormant » pour les fêtes de fin d’année.

C’est une autre casquette qui est celle de la transmission : apprendre tous les rôles que j’ai pu danser aux autres, leur donner tous les conseils. Cela ne sert strictement à rien d’avoir emmagasiné des choses si on ne les redonne pas. Si je n’avais pas eu les professeurs que j’ai eus, je n’aurais pas évolué de la même manière. C’est important qu’il y ait une sorte de passation.

Justement, quel conseil donneriez-vous à un petit rat de l’Opéra pour réussir ?

Je dirais que chaque personne a besoin d’un conseil différent. Certaines, il faudrait leur dire « aie confiance en toi, vas-y ! ». D’autres, « attention, regarde un peu les autres, observes, tu n’es pas forcément la meilleure ». Il y en a à qui je conseillerais « travailles plus, travailles, travailles car il n’y a que cela qui paie. » Mais à d’autres je dirais « sois un peu plus fantaisiste car à force de travailler tu deviens un peu ennuyeuse, tu manques de vivacité. » J’ai vu des tas de bons soldats, de bons élèves, passer totalement inaperçus car ils avaient occulté tout l’aspect projection tellement ils étaient concentrés.

En tous les cas, une chose est sûre, il ne faut pas y aller sans être passionné. Le métier est dur. Il faut travailler plus que ce que l’on croit. On n’est pas danseur jusqu’à la porte de sa loge. Une fois rentré chez soi, il faut repenser aux détails d’une interprétation, aux corrections à apporter.

Faut-il une part de folie pour être danseuse?

Oh oui ! Il faut être fou. Je ne dis pas avoir tout sacrifié pour la danse car je n’ai pas pris les choses comme un sacrifice. Mais mon emploi du temps s’organise intégralement autour de la danse. Je ne vais pas partir en week-end si je sais que j’ai un spectacle telle date, je ne vais pas me coucher tard ou aller faire la fête si j’ai une répétition importante le lendemain. Si on est remplaçante sur un rôle et que la danseuse de la veille a eu mal quelque part, on ne va pas se balader toute la journée car l’on peut potentiellement être appelée pour la remplacer le soir. Tout est organisé autour de la danse. Il faut bien admettre que la danse est la colonne vertébrale de mon organisation de vie.

Est-ce possible d’avoir une vie de famille lorsque l’on exerce ce métier ?

Oui, à condition d’être avec des gens qui acceptent que l’on ne soit pas là le soir pour cause de spectacle. Ou par exemple, tel soir on devait aller dîner ensemble chez des amis mais comme par hasard on vous demande de danser au pied levé. Il faut quelqu’un qui accepte que vous vous absentiez pendant quinze jours pour une tournée au Japon alors même que cela tombe pendant la période des vacances. Ce n’est pas un métier avec des horaires de bureau !

Lorsque, adolescente, vous vous êtes lancée, aviez-vous conscience des sacrifices qu’une carrière de danseuse impliquait ?

On le comprend très vite. C’est un choix de vie. Au lycée, j’avais des copines qui me disaient « viens avec nous, on va faire ceci, cela » et je ne pouvais pas y aller car j’avais cours de danse. Il a fallu que je sois sélective. Je l’ai fait sans regret.

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